À 22 ans, Marine Cavin, lieutenante dans l’armée suisse, s’est imposée dans un milieu composé d’environ 99% d’hommes. Elle évoque la patience, la détermination et la résilience qui l’ont guidée tout au long de son parcours.
En s’asseyant au coin de son lit, le dos droit, menton relevé et épaules dégagées, Marine sourit. Elle fixe la bougie parfumée allumée sur son bureau. Devant elle, un mur bleu turquoise recouvert de dessins à l’encre noire et aux coins scotchés. Au pied d’une armoire bourrée d’habits, des tapis aux poils synthétiques jonchent le sol. Un morceau de quartz rose pend à un fil au-dessus de son lit. Juste à côté, un autre, en jade, oscille au rythme d’une pendule. Aucune trace de l’armée dans cette chambre à l’odeur de cannelle. C’est à la cave qu’elle garde en lieu sûr son attirail de lieutenante, laissant à sa chambre la place pour ses autres passions, telles que l’art et la mode.
Pourtant, c’est une tout autre facette de sa personnalité qui l’a poussée, en janvier 2022, à quitter le confort familier de Vevey: Marine rejoint l’école de recrue dans l’infanterie, guidée pas le désir de tester ses capacités. Elle répète souvent qu’elle adore le challenge. Que ce soit pour entraîner sa résistance, analyser ses points forts ou continuer à marcher malgré sa blessure au pied gauche, la militaire est toujours prête. C’est comme si elle partait à la quête d’elle-même chaque fois qu’elle repousse ses limites.
Exercer la maîtrise de soi
En un an et demi, elle a su gravir les échelons de la hiérarchie, passant du grade de sergente à celui de lieutenante. Pour elle, l’armée l’aide surtout à exercer la maîtrise de soi. En tant que femme, elle a trouvé une solution pour s’acclimater à un milieu d’hommes: se montrer patiente. «Je garde toujours mon calme, tout en connaissant mes limites. Je n’ai pas peur de les remballer quand ils me narguent. Il faut être con avec les cons.»
« En tant que femme, tu dois dix fois plus prouver que tu es compétente. »
– Marine Cavin
Dotée d’une bonne capacité d’adaptation, Marine impressionne ses pairs. Elle remarque même la compétition subtile qui s’installe entre elle et ses collègues masculins. «La première fois que j’ai gradé, j’ai senti dans leur regard qu’ils se demandaient si je pouvais vraiment être à la hauteur et si j’allais faire mieux qu’eux…» Marine s’arrête. Elle soupire et réfléchit silencieusement. Après cinq secondes, elle reprend d’un air flegmatique: « En tant que femme, tu dois dix fois plus prouver que tu es compétente. Il faut aller chercher sa place, c’est plus dur que pour les hommes.» Pourtant, face à l’adversité, la lieutenante ne flanche pas. Marine tient à montrer qu’elle n’a pas honte d’assumer qui elle est, ni de quoi elle est capable. Le corps raide et le regard impassible, elle pose les mains sur ses cuisses et ne bouge plus.
Malgré les difficultés, la jeune militaire ne perd pas de vue son objectif: faire de son mieux, tout en composant avec les autres. Elle tente de privilégier la bonne entente. «Créer des liens avec ma troupe, c’est important pour moi.» Armée de son empathie, Marine défend avec une certaine candeur la valeur de la camaraderie. Cependant, elle sait allier la compassion et la nécessité de rester ferme. «Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. Pour moi, ce principe devrait être respecté par tout le monde. Personnellement, j’essaie toujours de le faire.» En posant la main sur son cœur, elle souligne combien il lui est primordial d’aider ses recrues à travers toutes les épreuves.
Lirim, un soldat ayant été sous ses ordres, connaît la nature complaisante de Marine. «Elle nous aidait à aller plus loin dans les moments les plus difficiles. Elle a toujours été présente pour sa troupe quand on en avait besoin. Elle avait une voix si douce qu’elle n’avait pas besoin de crier pour qu’on l’écoute.»
La lieutenante mentionne le processus éprouvant qu’elle a traversé pour se faire respecter: «J’ai dû apprendre à ne pas me laisser faire en tant que supérieure. Parfois, je devais redoubler d’efforts pour montrer que j’étais capable.» Un sourire légèrement crispé se dessine sur son visage. «L’armée m’a vraiment aidée à moins prendre les choses à cœur.»
Elle observe avec déception les récentes révélations sur les conditions discriminatoires vécues par les femmes dans l’armée: en 2024, une étude a révélé que plus de 80% des personnes interrogées disent avoir subi des remarques sexistes ainsi que des violences sexualisées. Marine affirme pourtant ne pas être surprise. Selon elle, le problème ne vient pas du milieu militaire, mais «du monde dans lequel on vit». Les sourcils froncés, elle explique que l’armée est à l’image de la société et ne fait que mettre en évidence certaines problématiques.
« Ce n’était pas le monde des Bisounours »
La bougie commence à s’éteindre. Sans bouger la tête, Marine, impassible, suit des yeux la fumée qui se dissipe. «J’ai moi-même vécu plein d’expériences négatives avec des hommes qui voulaient me rabaisser. Ce n’était pas le monde des Bisounours. En fait, je ne veux pas me laisser faire. Je crois que, s’ils cherchent à me décourager, c’est probablement parce qu’ils manquent de confiance en eux.» Elle s’arrête, regarde par la fenêtre, étire le haut de son corps et conclut: «Tant que je sais de quoi je suis capable, peu importe le reste.»
La ténacité de Marine, parfois mise à rude épreuve, lui a permis de prendre du recul et de renforcer sa confiance en elle, si importante à ses yeux. «Même si ça a été dur à certains moments, je tirerai toujours du positif de ces souvenirs. J’ai trouvé qui j’étais grâce à mon expérience dans l’armée. Je sais maintenant ce que je veux, ce que je vaux, et ça me fait vraiment du bien.»