Interview : « Avec ces cépages, on est plus bio que bio ! »

Jean-Laurent Spring est responsable du groupe viticulture à l’Agroscope. Un de ses projets de recherche se focalise sur la sélection de variétés de vignes résistantes aux pathogènes comme le mildiou et l’oïdium, qui a abouti à la mise sur le marché des cépages Divico et Divona. Rencontre sur le site de l’Agroscope à Pully. 

L’année 2021 et ses intempéries a été particulièrement difficile pour la viticulture. Pourriez-vous expliquer pourquoi des conditions humides favorisent les maladies ? 

De juin à juillet, il a plu régulièrement. Cela rend la protection de la vigne avec les produits phytosanitaires difficile, car les produits ne doivent être appliqués que sur la vigne sèche. Les cépages européens classiques, souvent très anciens, ne possèdent pas de gènes de résistance contre le mildiou et l’oïdium, deux pathogènes importants des vignes favorisés par des conditions humides et chaudes. 

Le Millésime 2021 sera-t-il donc exceptionnellement… mauvais ?

Non, au contraire ! On a eu une très belle arrière-saison, très ensoleillée, ce qui a permis au raisin de bien mûrir. Le millésime se présente donc très bien. C’est plutôt la quantité qui est impactée. Mais ceux qui ont presque tout perdu vous dirons : « Oui la qualité est bonne, mais moi je m’y trouve pas trop, le porte-monnaie est bientôt vide… »

Doit-on s’attendre à ce que ces conditions se généralisent dans les prochaines années ? 

Durant les 35 dernières années, le climat s’est clairement réchauffé. On a gagné pratiquement 15 de précocité dans les stades de développement de la vigne. Mais au final, en Suisse, la viticulture a beaucoup profité du réchauffement climatique. Autrefois, les mauvaises années pour la viticulture étaient celles où la vigne mûrissait mal ses fruits à cause du manque de chaleur. 

Vous avez participé à la création de nouveaux cépages issus de croisement comme le Divico et le Divona, plus résistants aux maladies, tels que l’oïdium et le mildiou. Pourriez-vous expliquer le procédé ?

Le programme a commencé en 1996, avec la sélection de variétés qui montrent des résistances à la pourriture, au mildiou et à l’oïdium. Le Divico est issu d’un croisement de souches de vignes déjà résistantes provenant d’espèces d’Amérique ou d’Asie, et d’hybride qui ont déjà fait leur preuves gustativement, comme le Gamaret. A partir des jeunes plantules, après infection du pathogène, on sélectionne les croisements qui ont synthétisé le plus de composés toxiques contre les maladies. On fait ensuite de petites vinifications avec les souches potentielles, et on les déguste. Du début du programme à l’homologation, le cycle complet prend une vingtaine d’année. 

Cette année, ceux qui avaient du Divico ont bien récolté. Et d’autres ont multiplié les traitements sur d’autres cépages et ont tout perdu.

Jean-Laurent Spring

Le Divico et le Divona sont présentés comme ouvrant la voie vers une viticulture plus écologique, en réduisant l’apport de produits phytosanitaires. Mais quels rôles ont à jouer ces nouveaux cépages face aux nouveaux challenges climatiques ? 

Selon les situations, par exemple dans la bassin Lémanique où la pression du mildiou est grande, on arrive à protéger presque totalement une vigne résistante avec au maximum 3 traitements par année. Pour la vigne européenne traditionnelle, ce serait 6 à 9 traitements avec des produits de synthèse, et si on est en bio, une quinzaine de traitements au soufre. Cette année par exemple, ceux qui avaient du Divico ont bien récolté. Et d’autres ont multiplié les traitements sur d’autres cépages et ont tout perdu. 

Élaboré par l’Agroscope et diffusé dès 1993, le cépage Gamaret s’est hissé en 4ème position des cépages rouges plus cultivés en Suisse. Nouveaux arrivés, le Divico et le Divona semblent si prometteurs qu’on a presque du mal à comprendre pourquoi ils ne sont pas utilisés à plus larges échelles… selon vous, pourquoi ? 

Le Divico a plutôt un franc succès pourrait-on dire ! Si on regarde l’évolution des cépages, le Divico est devenu le principal cépage résistant contre les maladies cultivé en Suisse, en très peu d’années. Le trend est très bon. 

Plus de 98 % des vins commercialisés sont issus de cépages européens souvent très anciens auxquels les consommateurs sont très attachés comme le Pinot noir ou le Chasselas. Replanter une vigne coûte également très cher. Mais les cépages résistants de qualité vont progressivement s’implanter, ça c’est sûr ! 

A Chardonne (VD), un viticulteur montre l’effet du mildiou sur la vigne. (Crédit : Geoffroy Brändlin)

L’évolution vers des variétés résistantes ne risque-t-elle pas de se faire au détriment du goût ? 

Non, la grande montée du Divico est surtout due à son potentiel qualitatif. Il ne suffit en effet pas d’être résistant, et c’est d’ailleurs ce qui retient souvent. Le Divico a en outre remporté plusieurs prix pour sa qualité, dans des concours pas forcément attribués à des cépages résistants. Au niveau du goût, on a quelque chose qui tient la rampe! 

Au final, quelle sera la viticulture de demain ? 

Je pense que ces cépages sont l’avenir. Qui aime utiliser des produits phytosanitaires ? En tous cas pas le vigneron ! Si la qualité est là et que ça lui évite de traiter les vignes, donc un gain économique, on résout presque tous les problèmes et ça correspond à ce qu’attend la société. 

Face aux vins bio, nature, biodynamie, vins locaux, primés, … quels conseils donneriez-vous lorsqu’il s’agit de choisir son vin ? 

Avec ces cépages, on est plus bio que bio ! Donc le seul avis que je me permettrais peut-être pour le consommateur est : soyez curieux et allez à la rencontre sans préjugés de ces nouveaux produits, mais attention vous ne serez pas à l’abri de quelques bonnes surprises ! 

Texte par Alicia Frésard
Crédits photo : Carole Parodi, Agroscope

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