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Initiative sur les crèches : le casse-tête politique

Monika Maire-Hefti, ancienne conseillère d'Etat neuchâteloise, a été nommée en 2021 à la tête de la Commission fédérale pour les questions familiales.
Monika Maire-Hefti, ancienne conseillère d'Etat neuchâteloise, a été nommée en 2021 à la tête de la Commission fédérale pour les questions familiales.

L’initiative sur les crèches déposée en juillet dernier par le Parti socialiste n’a pas convaincu le Conseil fédéral, car trop chère. Alors que les structures d’accueil extra-familiales arrivent à saturation, la Suisse peine à fixer une politique familiale adéquate.

Les crèches suisses saturent. Certains parents se retrouvent sans solution abordable pour faire garder leurs enfants. Les femmes en sont les premières victimes et nombreuses optent pour un temps partiel. Le Parti socialiste a proposé sa solution via l’initiative sur les crèches en juillet dernier. Plus qu’une condition à l’égalité, le texte prévoit que les parents ne dépensent pas plus que 10% de leur revenu pour une place en crèche et que la Confédération prenne en charge deux tiers des coûts. Une solution que le Conseil fédéral juge trop chère. Monika Maire-Hefti, présidente de la Commission fédérale pour les questions familiales, estime qu’il est temps que la Suisse instaure une politique familiale digne de ce nom.

Cette initiative veut garantir aux femmes une meilleure égalité sur le marché du travail. Vous y croyez ?

Clairement oui. Plusieurs études l’ont montré, les femmes se retirent du marché du travail avec l’arrivée du premier enfant et optent pour un temps partiel. Leur temps de travail diminue encore avec un deuxième enfant et ainsi de suite. Le problème à long terme, c’est qu’elles creusent un trou dans leur rente AVS et mettent en danger leur retraite. Il est difficile de mesurer ce risque quand on a trente ans. La création de places plus abordables permettrait aux femmes d’avoir le choix.

L’accueil extra-familial est-il le seul levier pour améliorer l’égalité ?

Non, la Suisse a aussi besoin d’un congé parental plus avantageux de 38 semaines. La première année de l’enfant est déterminante pour son futur. Plus les parents pourront lui accorder du temps, mieux il partira dans la vie. Pas que les crèches soient mauvaises, mais c’est une qualité de vie que l’on se doit d’offrir aux familles. De plus, l’accueil des enfants en dessous de neuf mois en crèche est très coûteux. En allongeant le congé parental, on diminuerait ce coût pour les structures et on pourrait ainsi créer de nouvelles places. C’est un domino.

Sera-t-il vraiment possible de bousculer notre structure de société encore très patriarcale ?

Mes cheveux gris me permettent de parler d’expérience. On voit quand même une évolution dans la société. Je crois qu’aujourd’hui les couples ont une volonté de pouvoir s’occuper les deux de l’enfant. En vérité, c’est plus difficile, car on se heurte à la réalité du monde du travail, qui n’est pas encore prêt pour ça.

Les entreprises ont donc aussi un rôle à jouer ?

Certainement ! On voit d’ailleurs que plusieurs entreprises se rendent attrayantes en mettant en avant la possibilité d’exercer un temps partiel et proposent un congé parental prolongé. La société a quand même pris un virage. En revanche, toutes les entreprises ne peuvent pas se le permettre, créant une situation d’inégalité. D’où l’importance d’une prise de position politique au niveau national. Je pense que ce n’est qu’un ensemble qui peut faire changer les choses et les entreprises ont un grand poids à faire valoir dans ce développement.

Le Conseil fédéral s’est pourtant opposé à l’initiative qu’il estime trop chère et a rappelé que l’accueil extra-familial relève de la compétence des cantons. Personne ne semble vouloir aller de l’avant dans ce dossier.

Je dois dire que je suis assez déçue de cette réponse du Conseil fédéral. Tous les indicateurs et toutes les études démontrent très clairement qu’il y a un levier à actionner. Seulement, quand on a une patate chaude, on essaye de se la refiler. C’est sûr, la Confédération a déjà fait un pas avec des subventions fédérales pour les programmes novateurs proposées par les cantons. Beaucoup d’entre eux ont profité de cette offre, notamment Vaud et Neuchâtel. Mais maintenant, on doit apporter des solutions en Suisse. Ce n’est pas possible d’avoir 26 fonctionnements différents selon les cantons.

Pourquoi a-t-il fallu attendre 2023 pour que la garde des enfants soit discutée en politique fédérale ? La pénurie des places en crèche n’est pourtant pas un nouveau sujet.

Continuons d’élire des hommes de 64 ans dans les chambres fédérales et on attendra encore trente ans avant d’avoir assez de place en crèches. Le visage des deux chambres n’est pas représentatif de cette part de la population, ce n’est clairement pas leur priorité. Et ça, c’est un problème. Les préoccupations de monsieur et madame tout le monde ne sont ni portées ni défendues au niveau des chambres.

Est-ce que la Suisse est un pays social ?

C’est une question vraiment difficile. Je dirais qu’on a un bon filet social pour soutenir une grande partie de la population fragilisée, mais il y a toujours des personnes qui tombent entre les mailles du filet. Les structures étatiques ne sont pas suffisantes. Cependant, on a pas mal d’associations et d’ONG qui soutiennent ces gens-là. Je dirais que la Suisse est un pays exclusif et non pas inclusif, dès qu’on est un peu en marge, on est quand même vite isolé. En Suisse, tout va lentement et nous ne pouvons pas dire que nous ayons une politique familiale digne de ce nom.

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Atelier presse”, dont l’enseignement est dispensé collaboration avec le CFJM, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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