Harcèlement sexuel : Mange-t-on les porcs après les avoir balancés ?

Par Duncan.C

L’affaire Weinstein a déclenché de nombreuses réactions, notamment sur la toile à l’instar des hashtags #metoo et #balancetonporc. Deux mois et de d’innombrables témoignages plus tard, des actions concrètes ont été menées mais les plaintes ne dépassent que très rarement le cadre des réseaux sociaux.

Harvey Weinstein en 2010 Photo:Nick Stepowij

C’était le 05 octobre dernier, le producteur américain Harvey Weinstein était visé par une première plainte pour harcèlement sexuel. Deux actrices ont relaté les agissements dépravés du réalisateur au New-York Times. Les langues se sont rapidement déliées: plus d’une dizaine d’autres comédiennes ont tour à tour accusé Harvey Weinstein de harcèlement sexuel, viol, et chantage.

Depuis, la parole s’est libérée du côté des femmes, même Outre-Atlantique. Le hashtag #BalanceTonPorc lancé par la journaliste française Sandra Muller a rapidement envahi la toile, avec plus de 335 300 messages comptabilisés entre le 13 et le 18 octobre. #MeToo a quant à lui traversé les frontières et créé une solidarité féminine massive sur Facebook et Twitter. Le tweet lancé par Alyssa Milano, appelant aux femmes ayant subi un harcellement à se manifester avec un «me too» sur les réseaux sociaux a été retweeté plus de 25 000 fois.

En Suisse: des réactions, mais peu d’actions juridiques et politiques

On aurait pu en rester là. Pourtant, les deux hashtag ont eu un impact inattendu et durable qui n’a pas épargné la Suisse. A la suite de l’affaire Weinstein, c’est Tariq Ramadan qui a eu droit a son heure de déboires. L’islamologue genevois a également fait l’objet de deux plaintes pour viol, mais aussi pour abus sexuels sur mineurs. Reste que, c’est le seul scandale qui a éclaté du côté helvétique.

La parole circule toujours autant autour de la problématique du harcèlement sexuel sur les réseaux sociaux, mais elle reste quelque peu cantonnée à cet espace public. Karine Lempen, professeure de droit à l’Université de Genève, a relaté à Migros Magazine qu’au travail les femmes ne portent plainte que très rarement. Elle se référait à une étude de 2008 commandée par le Bureau Fédéral de l’égalité entre hommes et femmes (BFEG): «à mon avis, il n’y aura pas beaucoup plus de plaintes ces prochaines années suite à l’affaire Weinstein. On reste dans des chiffres extrêmement faibles par rapport à la réalité statistique du phénomène».

En France voisine, les associations de victimes croulent sous les appels et les plaintes

Des groupes Facebook ont vu le jour, la RTS  a consacré une émission spéciale au sujet mais il semble que les réactions en Suisse Romande demeurent minimes comparées à celles qui ont cours de l’autre côté de la frontière, toutes proportions gardées. En France, l’AFP indiquait en effet une hausse de 30% des plaintes pour harcèlement sexuel ou violences sexuelles en octobre dans les gendarmeries. Et même les couches populaires ont été écoutées, à l’image des nettoyeuses des trains de la gare du Nord à Paris qui ont obtenu gain de cause après plusieurs dénonciations de harcèlement sexuel au travail.

Des actions citoyennes concrètes pour lutter contre différentes formes de harcèlement

En Suisse romande, le mouvement citoyen «me too» a rapidement pris de l’ampleur. Il vise désormais une politisation et tente de donner de la voix. Plusieurs manifestations ont déjà eu lieu en France et en Suisse. La RTS a d’ailleurs interviewé à ce sujet Caroline Dayer, Docteure en sciences sociales et spécialiste des violences et des discriminations:

En parallèle, l’Université de Genève a lancé #uniunie, une campagne de sensibilisation au harcèlement sexuel. Au sein des différents bâtiments de l’Université, et ce pendant plusieurs jours, des affiches sont exposées et des stands d’information sont présents. Sur le site internet de la campagne on trouve une cellule d’aide à contacter en cas de harcèlement, mais aussi des liens vers les instances juridiques ainsi que des brochures informatives.

D’autres actions citoyennes ont vu le jour: la création de plusieurs espaces de parole permet à des femmes victimes de harcèlement sexuel de parler librement de leurs mauvaises expériences et de les partager.

Une prise de conscience plutôt que de réels changements

En définitive, il semblerait que les hashtag ne soient  pas un moyen suffisant pour couper le mal à la racine. «Balancer son porc» ne parvient pas – ou pas encore – à rayer un phénomène de société de la mappemonde des mœurs. Les changements se situent plutôt dans les esprits: on  assiste à une réelle prise de conscience, et pas seulement chez les femmes. Le phénomène a brisé le silence, passant d’un frémissement à un vacarme médiatique. Les abondants témoignages, notamment sur le site balancetonporc.com, sont un électrochoc collectif depuis plusieurs semaines.
Mais les mesures gouvernementales et politiques se font attendre. Pour l’instant, c’est la police qui s’exprime, ou comme nous l’avons vu,  les militantes féministes, les porte-paroles des mouvements citoyens ou des associations d’aide aux victimes. Mais les employeurs de grandes entreprises et les instances judiciaires restent muettes. Assujetties à la lenteur des changements… de mentalité. C’est ce qu’avance la sociologue Véronique Le Goaziou dans une interview pour Neonmag:«cela doit passer par l’éducation. Il faut changer les représentations de la sexualité que l’on a: l’éducation sexuelle au collège n’est pas faite, ou alors est mal faite».
Les agressions, quant à elles, ne s’enlisent pas. Pour cela il faudrait que le débat dépasse la « tribune publique » incarnée par l’anonymat des réseaux sociaux, qui n’inquiète que peu les #porcs.
Par Ann-Christin Nöchel & Marion Police

Quelques évolutions « post-metoo »

  • A la suite de #BalanceTonPorc et #MeeToo, on a notamment remarqué l’apparition d’une réponse masculine qui a pris la forme de « #HowIwillChange». Sur Twitter, de nombreux hommes l’ont utilisé pour témoigner de leur solidarité envers le sexe opposé et pour s’engager à changer.
  • Dans la veine de #BalanceTonPorc, le hashtag #BalanceTonAgresseur va plus loin en dénonçant les coupables d’agressions sexuelles. Des récits glaçants ont ainsi été publiés sur Facebook et Twitter, et il n’est plus rare que les deux hashtags soient utilisés dans les mêmes posts.
  • Enfin, notons #IcouldHaveBeen lancé par la fondation Kering qui lutte contre les violences faites aux femmes. Ce hashtag fait écho à la campagne de la fondation qui, sur un site internet dédié,propose de se mettre dans la peau de la fille violentée que l’on aurait pu être.

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