Repenser les représentations des minorités par les journalistes qui écrivent à leur sujet, voilà l’un des défis actuels que les médias tentent de relever. A Perugia, les conférencières Anita Li et Ashley Alvarado ont présenté les nouveaux enjeux d’équité au sein des rédactions.
A l’instar des institutions publiques et privées, les médias ne sont pas exempts de reproduire différentes formes de dominations, qu’elles soient relatives au genre, au racisme ou encore au langage.
Lorsqu’un média parle de communautés peu représentées, il interroge implicitement sa propre diversité, à l’intérieur de sa rédaction. Autrement dit, la manière de présenter des personnes racisées ou de donner une importance relative à l’égalité des sexes est toujours dépendante des journalistes qui en parlent. Si ces rédactions sont composées majoritairement d’une catégorie de personnes, elles ne sont plus représentatives de l’ensemble de la société.
De façon générale, les femmes, comme les minorités raciales et de genre, sont sous-représentées dans les rédactions. Bien que leur présence ait augmenté depuis une cinquantaine d’années, les médias sont constitués d’une majorité masculine et blanche. De ce fait, la production de contenus médiatiques relatant l’existence ou le vécu de diverses minorités est en grande partie écrite par des individus bénéficiant de privilèges particuliers, faisant d’eux des figures de pouvoir indépendamment de leur volonté.
Par exemple, les articles portant sur les agressions sexuelles qui se déroulent dans les campus américains sont écrits par 55% d’hommes contre 31% de femmes, alors que ces dernières sont les premières concernées par ces mêmes agressions.
De la nécessité de l’inclusion
Le manque de représentation variée au sein des rédactions a des conséquences observables sur la démocratie et sur l’idée que s’en fait le lectorat. « La diversité raciale au sein d’un média ne représente jamais celle du pays », illustre Anita Li par un graphique montrant le décalage entre la diversité des communautés vivant au Canada et le peu de journalistes issu·es de ces dernières. La conférencière explique que le journalisme, en plus d’informer, a le devoir d’incarner la diversité des individus qu’il sert. En conséquence, si c’est une majorité blanche qui produit l’information, la participation des minorités non-blanches sera moindre.
Et donc ?
Ce manque de représentation est donc structurel, selon Anita Li, en ce sens qu’il ne se rapporte pas juste à l’individu, mais à l’organisation en groupe. Parallèlement, le manque de diversité tend à accentuer la reproduction sociale dans la profession journalistique, expliquent Géraud Lafarge et Dominique Marchetti, chercheurs en sciences sociales. En d’autres termes, ce manque ne semble pas encourager les individus peu ou non représentés à investir les rédactions. Finalité : ce sont les mêmes personnes, généralement privilégiées, qui composent les médias.
Et si on inclut ?
La diversité semble être plutôt bénéfique pour les rédactions. Ashley Alvarado, seconde conférencière, explique que le fait de travailler avec des minorités permet de transformer l’information de façon inclusive et démocratique. Les acteur·trices sociaux·les sont davantage impliqué·es dans la construction de l’actualité et de leur propre visibilité. Ainsi, en plus de renouer des liens sociaux entre les faiseur·euses de l’information et le lectorat, leur confiance se consoliderait, illustre Ashley Alvarado par les divers projets inclusifs qu’elle a montés.
Alors, bénéfice pour tous ?
Sur les plans tant social qu’économique, le World Economic Forum indique que la diversité au sein des médias est un atout en ce qu’elle permet de varier ses perspectives journalistiques. Des récits nouveaux sont ainsi mis en lumière. En faisant publiquement preuve d’inclusivité, les médias invitent aussi leur lectorat à s’agrandir et à se diversifier. Cette ouverture sociale profite ainsi à l’essor économique du média, étant donné qu’il sera davantage lu, vu ou écouté.
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Inclure, oui, mais comment ?
Anita Li propose une dizaine de solutions ou méthodes pour améliorer le modèle d’inclusion et de diversité des médias et de leur rédaction. Elle en a sélectionné trois qui lui semblent particulièrement importantes et primordiales pour enclencher ce processus de transformation :
- Etudier les données démographiques de la rédaction
Cela permet de comprendre comment se structure la rédaction dans sa diversité raciale, de genre, d’âge, ou encore linguistique. C’est une étape primordiale pour enclencher un processus d’inclusion. Si l’on ne nomme pas les choses, il est compliqué d’agir sur les inégalités. - Engager et promouvoir les minorités
Pour engager un changement, il est nécessaire de valoriser les communautés et de leur assurer une visibilité pérenne. En changeant ces conditions primaires de représentation, on légitimise de nouvelles communautés dans le paysage médiatique. - Consulter les concerné·es
Afin d’éviter toute caricature ou fétichisation, il est nécessaire de discuter avec les minorités de la façon dont elles souhaitent qu’on parle d’elles. Elles peuvent alors participer au processus démocratique de leur propre représentation.
Par Raphaël Dubois
Crédit photo : Keystone
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Production de formats journalistiques innovants », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.