Alors que la fiabilité de Starlink est questionnée et que son patron Elon Musk brouille les lignes entre intérêts privés et géopolitique, les opérateurs Salt et Swisscom s’intéressent de près à la constellation américaine. Une stratégie qui soulève des inquiétudes sur la souveraineté numérique de la Suisse — dans l’indifférence politique.
Starlink, la constellation de satellites déployée par SpaceX, vise à fournir de l’Internet haut débit dans les zones reculées grâce à ses satellites en orbite basse et ses antennes au sol. Mais les ambitions de la firme d’Elon Musk ne s’arrêtent pas là. Elle développe la technologie Direct to Cell. L’objectif: connecter les smartphones aux satellites sans antenne externe. Aux États-Unis, l’entreprise d’Elon Musk a obtenu une licence de la Federal Communications Commission (FCC) et depuis février 2025, l’opérateur américain T-mobile propose à ses clients des forfaits satellitaires en bêta.
En Europe, Salt est le premier opérateur à avoir annoncé un partenariat similaire avec Starlink. Dans notre pays, cette technologie est importante, compte tenu de la topographie, pour toucher des régions reculées, explique Ana Biljaka, porte-parole de Salt. Mais après l’annonce en grande pompe de ce partenariat en 2023: silence radio. Le service devait être déployé fin 2024. Sollicité, l’opérateur explique que le retard est dû à l’absence d’un cadre réglementaire clair. Il indique travailler « actuellement en étroite collaboration avec les autorités compétentes pour créer ces conditions cadre ». L’entreprise ne s’engage plus à communiquer une date de lancement pour ce service.
Quant à Swisscom, l’entreprise surveille attentivement le marché de la communication par satellite. Selon Alicia Richon, porte-parole de l’opérateur, l’entreprise analyse les différents acteurs du secteur, qu’ils soient européens, chinois ou américains. Contrairement à ce qui a été rapporté dans les médias, elle précise: « Nous n’envisageons pas davantage une collaboration avec Starlink qu’avec tout autre concurrent ».
Starlink agite les parlementaires sous la Coupole
La communication par satellite est un sujet qui fait réagir jusque sous la Coupole. Philippe Nantermod a interpellé le Conseil Fédéral à ce sujet en décembre dernier. Pour le député PLR, le risque est évident: Swisscom, en tant qu’entreprise majoritairement détenue par la Confédération, expose l’État à des risques technologiques, commerciaux et géopolitiques importants. Le conseiller national défend une privatisation rapide de cette société, car « Swisscom pourrait se retrouver impliquée indirectement dans des tensions géopolitiques par ses choix technologiques, ce qui constitue, à mon sens, une raison supplémentaire de repenser fondamentalement son statut », explique-t-il.
Swisscom pourrait se retrouver impliquée indirectement dans des tensions géopolitiques par ses choix technologiques.
Philippe Nantermod
Une souveraineté numérique menacée
Des experts, eux, appellent à la prudence. Jean-Christophe Schwaab, ancien conseiller national (PS/VD) et spécialiste du droit des télécoms, s’inquiète du manque d’intérêt politique et de la faiblesse du débat public: « La vraie question, c’est de savoir quelles infrastructures critiques la Suisse veut protéger. Il ne faut plus raisonner uniquement en termes de technologies, mais de services stratégiques ».
Il ajoute qu’à ce stade, il n’est pas déterminé que ces technologies soient indispensables pour la Suisse. Cette question reste donc en suspens. Le Conseil fédéral vient de mettre en consultation une loi visant à garantir l’Internet haut débit dans tout le pays. Dans ce cadre, certaines régions pourraient nécessiter des technologies satellitaires pour être connectées, la fibre optique étant très coûteuse à déployer. Dans ce cas précis, il faudrait que le Conseil fédéral prenne les choses en main pour réguler ces technologies et leurs acteurs. Selon lui, la technologie Direct to Cell devrait être strictement régulée, car elle fait basculer des pans entiers des télécommunications sous contrôle étranger. Cette situation constitue un problème majeur pour la souveraineté numérique du pays.
Même si c’est à contre-cœur, il est primordial de privilégier un acteur européen.
Jean-Christophe Schwaab
Dans le contexte actuel de tensions géopolitiques, la perte de confiance envers Starlink et plus largement envers les États-Unis justifie de se tourner plutôt vers des acteurs européens, faute d’entreprise suisse dans le secteur. L’ancien conseiller national souligne: « Même si c’est à contre-cœur, il est primordial de privilégier un acteur européen ».
Si les promesses de la technologie satellitaire sont indéniables pour connecter les régions les plus reculées, elles soulèvent aussi des questions fondamentales sur la maîtrise des infrastructures critiques. La balle est désormais dans le camp du Conseil fédéral, chargé de définir un cadre garantissant la souveraineté numérique du pays.