« En anglais, humour rime avec tumeur » – JAM

« En anglais, humour rime avec tumeur »

Stand "Having a ball" à Lausanne avec Joseph Barnes en encadré. (Photo: LvS)

L’association Joseph Barnes pour la prévention du cancer du testicule porte le nom de son initiateur décédé. Depuis, sa famille et ses amis continuent de circuler son message. L’histoire de l’homme qui a démarré le projet par un podcast ne s’arrête pas avec sa mort.

Dans le dernier épisode de son podcast « Having a ball« , Joseph énonce ses derniers mots publics: « to be continued » (« à suivre » en français). Par ces mots, il crée un suspens interminable, car la suite n’existe pas. La vie de Joseph s’arrête quelques jours après l’enregistrement, le cancer du testicule lui ayant été diagnostiqué trop tard. 

Sa famille et ses amis suisses le connaissent sous le nom de Joey, il s’habille en short/t-shirt par toute météo et porte obligatoirement une casquette. Sa bouche est chapeautée d’une épaisse moustache et ses rouflaquettes s’arrêtent au bord de sa mâchoire. Il « est surnommé le roi des jeux de mots », raconte sa maman Annemarie car, depuis petit, Joey et l’humour ne forment qu’un.

« Comme dans les films »

Son répertoire à blagues, il ne le tire pas de nulle part, Joey se forme seul durant toute son enfance « en lisant des livres que des quinquagénaires lisaient à son époque », se rappelle son frère aîné Kevin. Il se construit ainsi une quantité gigantesque de références et découvre l’incontournable Stephen King (« prononcé Stiven et pas Stefen », précisait Joey sans scrupule) qui se retrouve au sommet de ses écrivains préférés. 

Issu d’une famille canadienne, Joey est baigné dans un environnement anglophone où il apprend la langue et la culture. Très vite, il comprend qu’il se désintéresse des choses qu’il n’aime pas et qu’il ne voudra jamais la nationalité suisse. Ses parents tous deux enseignants, une opportunité professionnelle au Canada se présentera à la famille. Dans la petite localité Port Hope, proche de Toronto, lui et son frère découvrent leurs origines et vivent « le cliché nord-américain » pendant une année.

Ils fêtent Halloween, Thanksgiving et Noël « comme dans les films », se rappelle Kevin qui, dans son temps libre, lançait, à vélo, les journaux dans les jardins du quartier. Plus tard, ils remarqueront que « la ville où [ils ont] habité, est le lieu de tournage du film Ça, basé sur les livres de Stephen King ».

Une quête de sens

De retour à Colombier, son ami du lycée cantonal Nils se remémore: « On courbait les cours pour faire toutes sortes de choses. Aller au centre commercial de La Maladière et danser sur de la musique mise aux enceintes d’un magasin de technologie ou lire au bord du lac en fumant un pétard. »

Joey essayera les études, mais après avoir remarqué que « les cours sur la Constitution suisse étaient la chose la plus ennuyante du monde », il finira par aller à la Metropolitan film school de Londres.

Un mythe de Suisses mangeurs de chiens.

Andreas Enehaug

Rencontre avec son futur ami norvégien Andreas Enehaug qui est le seul à le nommer Joseph: « Dès la première minute, nous sommes devenus potes, nous partagions le même humour macabre. » Les deux font partie de la première volée du cursus de Bachelor.

« Nous étions les cobayes et le vivions ainsi », dit Andreas. Travaillant sur un film autour de « l’histoire de l’absinthe et un mythe de Suisses mangeurs de chiens, nous faisions tout ensemble. Pour nous retrouver, il fallait se rendre au ‘White horse’, bar mythique de Londres où la bière ne coûtait pas cher ». 

Joey termine son école de film et revient à Neuchâtel par amour. Un amour qui se brise peu de temps après, la dépression cogne à sa porte. Une lourde chute le tire au fond du trou. Il essaie de se maintenir hors de l’eau et couvre différents événements en tant que traducteur ou interprète. Il devient alors la voix des magasins Denner, Ikea et anime les pub-quiz du Chauffage compris.

Il décroche aussi une place fixe d’animateur à Canal 3, radio de la région biennoise. Dès 2021, des douleurs dorsales le torturent. Joey n’est pas allé consulter à temps. Lorsqu’il y va, un cancer métastasé du testicule lui est diagnostiqué.

Crier le message

Joseph écrit comme tous les jours depuis dix ans à son ami Andreas, lui explique la situation et lui demande s’il ne voudrait pas enfin réaliser leur projet procrastiné pendant trop longtemps: un podcast. Joey y voit une raison inévitable qui pousse les deux à tourner une trentaine d’épisodes tout autour du processus de la maladie. 

Toujours dans l’idée de garder une ligne humoristique, « in English, humor rhymes with tumor », dit Joey dans le premier épisode. Joey verse ses premières larmes publiques dans le dernier épisode et exprime: « Si seulement un homme est diagnostiqué suffisamment tôt pour ne pas subir la même chose que moi, je serais très heureux. » Une phrase ancrée dans le cœur d’Annemarie, Kevin, Nils et Andreas qui les pousse à partager son message.

L’association « Having a ball » voit le jour quelque mois après la mort de Joey. Bien que le cancer du testicule touche 470 nouveaux patients par an en Suisse (Ligue contre le cancer), « il y a quelque chose à faire, dit Nils. On parle de Movember, mois de la santé masculine, mais sait-on vraiment qu’est-ce que ça concerne? »

Les membres partagent l’idée que l’association n’a pas pour but de maintenir en vie un proche perdu, mais bien de propulser le message de Joseph Barnes: touchez-vous les boules!

Par Leander von Stetten
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse I », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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