Dans le quotidien d’une aide-soignante

Le rasage fait partie des activités dont Johanna doit parfois s'occuper / photo: MB

Activité chronométrée, alternative plus humaine au placement en EMS, que valent ces idées reçues sur les soins à domicile? Reportage.

Johanna enfile ses gants en plastique bleu pour la première fois de la matinée. Il est 7h10. Au milieu du salon de l’appartement protégé, un homme en fauteuil roulant s’exprime difficilement. Gêné par ses problèmes d’élocution, conséquences d’un AVC qui l’a rendu hémiplégique, le patient essaie de communiquer avec l’aide-soignante. Pour se faire comprendre, il doit utiliser des gestes. L’homme aimerait qu’elle lui applique de la crème sur le visage et sur le crâne. Johanna acquiesce et s’y affaire. Avant de le quitter, elle lui demande s’il aimerait qu’elle lui ferme la fenêtre, grande ouverte, du salon. Il articule difficilement un « non ». « Vous êtes sûr? Il fait quand même froid » insiste-t-elle. En ce samedi 11 novembre, les habitants de La Chaux-de-Fonds se sont réveillés sous leurs premières chutes de neige de l’hiver. Encore une fois, l’homme refuse et c’est avec trois minutes d’avance sur le planning que l’aide-soignante prend congé de son patient. 

Un programme chargé, sur le papier

Il fait désormais jour. De retour dans sa voiture, Johanna s’empare de son téléphone de fonction et entre des données dans une application. Elle doit cocher « conforme » ou « non-conforme » selon si la visite s’est déroulée comme prévue par son planning et dans les temps (à dix minutes près). Elle a également la possibilité d’inscrire des commentaires à destination des futurs aides-soignants qui seront amenés à visiter le patient en question. Elle repose l’objet et enclenche le moteur. Cinq minutes plus tard, la voilà déjà à l’adresse suivante. Une octogénaire l’accueille, puis s’installe dans la cuisine. Johanna doit simplement lui enfiler ses bas de contention. Enfin, « simplement », c’est un bien grand mot. Pas évident d’avoir la technique et la force de les manipuler. 

Pour une telle intervention, ce sont quinze minutes qui sont prévues par la Croix-Rouge neuchâteloise, organisation d’aide à domicile pour laquelle travaille Johanna, en parallèle de ses études en soins infirmiers. Pourtant, après deux petites minutes, elle a déjà terminé. Elle explique avoir rarement besoin de tout le temps prévu par son planning, ce qui lui permet de prendre un moment pour discuter avec ses patients et s’assurer qu’ils n’ont besoin de rien de plus. « Si je dois rester plus longtemps parce qu’un patient a besoin de quelque chose en particulier, je le fais volontiers, quitte à prendre du retard », affirme Johanna. Le moteur s’arrête. L’aide-soignante a garé sa voiture en centre-ville. Elle pose sur le tableau de bord une carte sur laquelle est écrit à la main « Soins à domicile Croix-Rouge », ainsi que son numéro de téléphone. Elle va en effet dépasser la demi-heure de stationnement maximum puisque ce sont quarante-cinq minutes qui sont prévues pour cette patiente. Au programme, la doucher, l’habiller et « papoter si on a le temps », ajoute Johanna. 

Si je dois rester plus longtemps parce qu’un patient a besoin de quelque chose en particulier, je le fais volontiers, quitte à prendre du retard.

Johanna

Lorsqu’elle pousse la porte de l’appartement, une dame âgée de 90 ans vient à sa rencontre. Elle porte une chemise de nuit blanche à points violets et semble encore à moitié endormie. Après tout, il n’est que 7h40. Les deux femmes se dirigent vers la salle de bains pour une toilette complète, puis Johanna l’aide à s’habiller. « Vous avez le temps de prendre un café? », demande-t-elle après que l’aide-soignante a terminé de s’occuper d’elle. Un hochement de tête plus tard, direction la cuisine. Dans le couloir qui y mène, des photos de famille sont accrochées au mur et au travers des fenêtres de cet appartement du cinquième étage, on peut apercevoir des toitures abîmées, séquelles de la tempête destructrice qu’a connue la ville il y a quelques mois. Quinze minutes plus tard, il est temps de quitter la nonagénaire. S’étant assurée, comme à son habitude, que sa patiente n’avait besoin de rien d’autre, Johanna la salue et ajoute : « Prudence si vous sortez. Il a neigé. N’oubliez pas votre déambulateur. »

Durées d’intervention très différentes

La matinée se poursuit. Les patients s’enchainent rapidement. Durant une heure, Johanna répète les mêmes gestes encore et encore, comme une impression de déjà-vu. Il est maintenant 9h30 et elle se rend à la dernière adresse de sa tournée. Dans cette maison, ce sont deux personnes dont elle va s’occuper. Tout d’abord, à l’étage supérieur, une femme de 94 ans l’attend pour une toilette. Après avoir contrôlé qu’elle a pris ses médicaments, direction la salle de bains. Une demi-heure plus tard, empruntant des escaliers à l’intérieur même de l’appartement, l’aide-soignante se rend au rez-de-chaussée. Ici, vit le fils du couple du dessus. Il est atteint d’un handicap de naissance, gênant sa motricité. S’il a pu, un temps, vivre presque comme tout le monde, aujourd’hui il est en fauteuil roulant et a d’importants problèmes d’élocution. Toutefois, Johanna le comprend et tant mieux, car le planning prévoit 1h45 avec lui. Lever, toilette, habillage, cuisine… l’aide-soignante doit tout faire. Aujourd’hui, elle sera néanmoins déchargée d’une tâche. L’homme a prévu de recevoir son neveu à midi, ce qui le réjouit beaucoup. 

Lorsqu’elle ressort de la maison, après avoir passé deux heures à aider ses occupants, l’aide-soignante retrouve sa voiture couverte d’une fine pellicule de neige. Il est 11h45 lorsqu’elle appuie sur « tournée terminée ». Des statistiques apparaissent à l’écran. Ce matin, Johanna aura parcouru neuf kilomètres à travers La Chaux-de-Fonds et elle aura visité sept patients en 4h45. 

Par Mathieu Baudoin
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse I », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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