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Coronavirus: “Je me sens plus en sécurité en Corée du Sud qu’en Europe”

Bien qu’étant longtemps un des pays les plus touchés par le coronavirus, la Corée du Sud a réussi à inverser sa courbe épidémique. Et ce, sans confinement ou mesures coercitives. Sa recette: un dépistage massif et gratuit, une communication transparente, l’hygiène et la responsabilité citoyenne. Témoignages de résidents à Séoul.

“J’ai l’impression d’être plus en sécurité en Corée du Sud qu’en Europe.” Giulia, une étudiante à la Haute école de gestion à Genève, débute son deuxième semestre d’échange à Séoul. Depuis la rentrée, elle suit ses cours en ligne en attendant que la situation se stabilise. “Je suis assez confiante,” partage-t-elle derrière sa webcam. Et pour cause, jour après jour, les chiffres chutent au Pays du matin frais, passant d’une moyenne de 500 nouvelles infections par jour à 86 ce vendredi.

L’Occident à la traîne

Plus à l’ouest, les démocraties occidentales peinent à juguler le covid-19: flambée des cas et victimes, dépistages insuffisants, pénuries de masques et de gels désinfectants… L’Italie recense déjà 13’915 décès alors que la Corée du Sud n’en dénombre que 174 avec un taux de létalité de 0.8% (contre une moyenne de 3.4%, selon l’OMS).

Sur 50 millions de Sud-Coréens, 10’062 ont été infectés en deux mois alors que la Suisse, avec ses quelques 8 millions d’habitants, dépasse les 19’300 cas après un mois.

Pourtant, les dépenses suisses de santé sont plus de deux fois supérieures à celles de la Corée, selon l’OCDE. Comment expliquer de telles disparités?

Jusqu’à 25’000 tests par jour

“Contrairement à l’échec de la gestion du MERS en 2015, le gouvernement a pris des mesures agressives dès les premiers signes du coronavirus,” constate Joe, une infirmière au Centre Médical Samsung à Séoul. Parmi ces mesures figure un dépistage massif atteignant jusqu’à 25’000 tests par jour (contre 2’000 en Suisse) par des stations de dépistage drive-in.

“Même les personnes asymptomatiques peuvent se faire tester gratuitement en cas de doute,” précise-t-elle.

L’installation de caméras thermiques et le partage des derniers déplacements des personnes infectées ont également contribué à contenir le virus, non sans susciter la controverse pour atteinte à la vie privée.

Dès l’annonce des premiers cas à Daegu, une campagne de désinfection est lancée. “J’ai vu des scooters qui passaient dans les rues en giclant du désinfectant,” explique Giulia. “Que ce soit dans les transports ou les restaurants, du gel antiseptique est toujours disponible, et tout le monde porte un masque.”

Pas de quarantaine

Contrairement à de nombreux pays européens, aucun confinement général n’a été proclamé. En effet, si les écoles sont closes, les commerces et restaurants restent ouverts. “Mais les habitants n’y vont presque plus. Ils préfèrent utiliser les services de livraison en ligne.”

Alors que la Suisse a dû durcir ses mesures au moyen d’amendes, la capitale sud-coréenne, elle, de manière complètement volontaire, s’est transformée en ville-fantôme.

Séoul
© Mélanie Poy, de gauche à droite: désinfectant et rappels sanitaires dans le marché de Mangwon ; Palais habituellement très touristique de Gyeongbokung un samedi ; Statue dans le quartier d’Ewha Women’s University habillée et masquée par des locaux.

Une question de volonté

“La bonne volonté des gens a joué un rôle énorme,” précise l’infirmière Joe. “Plus de 300 médecins et infirmières se sont portés volontaires”. Selon Jin, citoyenne de Séoul, la solidarité est inhérente à la culture sud-coréenne: “Il y a des milliers d’histoires de dons à travers le pays comme des femmes bénévoles qui fabriquent des masques en coton.”

A l’instar de nombreux Sud-Coréens, Jin se fait livrer ses courses à domicile. “Je suis si reconnaissante que j’offre toujours mon masque rationné au livreur.” La Séoulite a aussi pris pour habitude de désinfecter les boutons de l’ascenseur de son immeuble. “Il y a une plaisanterie parmi les Coréens qui dit que ‘surmonter les difficultés nationales est notre hobby’.”

Une culture collectiviste

Il va sans dire que le SRAS et le MERS ont fortement sensibilisé la population sud-coréenne aux questions d’hygiène. “Ici, le port du masque fait partie de la culture,” explique Giulia. “Ce n’est pas étrange de porter un masque, bien au contraire.” Selon elle, le respect des mesures repose sur un sens aigu du civisme.

“C’est une culture plus collectiviste. Toute la population contribue à ce que ça fonctionne.”

Selon Mélanie, une étudiante en Master-Asie en échange à Séoul, cette discipline aurait une origine morale. “La culture coréenne est encore très confucianiste – une idéologie où l’accent est mis sur la piété filiale, soit le respect des personnes âgées et de la famille. Cela a probablement participé à la responsabilité civile vis-à-vis des personnes à risque.”

A l’image de la Corée du Sud qui était dépassée par le MERS en 2015, l’Europe n’était pas préparée pour la pandémie du coronavirus. A présent, l’ampleur de la crise sanitaire se révèle à un Occident essoufflé et paralysé. Mais que ce soit en Corée, en Suisse, ou ailleurs, des initiatives de solidarité fleurissent. Si elle nous divise, la maladie nous unit aussi. Reste à savoir si, lorsque la société aura retrouvé sa cadence habituelle, nous aurons appris à mieux accorder les cordes de notre démocratie.

Crédits photo en Une: Tuur Tisseghem (Pexels)

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “journalisme international” dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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