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Cette Servettienne a dû se réinventer à cause de la maladie

Mercredi, 10 avril 2024. Marta Peiró Giménez prend la pose au cœur du stade de Genève. © Julia Zeder

L’endométriose a mis un terme prématuré à la carrière de Marta Peiró Giménez. Depuis le bord du terrain, elle est désormais à l’écoute des joueuses.

Elle rêvait de mener les Grenats en Ligue des champions. Mais rattrapée par une maladie qu’elle a endurée en silence pendant des années, Marta Peiró Giménez dû stopper sa carrière de joueuse professionnelle à 24 ans fin 2022. Aujourd’hui, l’Espagnole regarde ses anciennes coéquipières s’envoler vers les sommets du football féminin suisse depuis les tribunes. C’est en coulisses qu’elle est désormais devenue incontournable à Servette Chênois. La meilleure équipe du pays a remporté samedi 20 avril la finale de la Coupe de Suisse contre Young Boys (3-2).

Fauchée par la douleur en plein match

C’est au stade de Genève qu’on rencontre Marta Peiró Giménez. «Le foot c’est incroyable, ça a été ma passion pendant 10 ans…», raconte la jeune femme de 26 ans. Dans un français aux sonorités de sa langue maternelle, elle résume sa carrière en quelques phrases. Attaquante dans son pays, elle est recrutée par Servette Chênois en 2020 pour jouer en ligue nationale A, mais pas seulement. «En Espagne, c’est dur de gagner des titres, la concurrence est grande. En Suisse, j’avais l’opportunité de jouer la Ligue des champions, alors je suis partie de chez moi.»

Une année plus tard, l’attaquante découvre qu’elle est atteinte d’endométriose. «J’étais à Saint-Gall, quand j’ai senti une douleur intense en plein match», dit-elle en baissant la tête, son visage partiellement dissimulé par la visière de sa casquette. La joueuse est emmenée à l’hôpital, où les médecins lui décèlent d’abord une appendicite, qui évolue très vite en péritonite. Un gros kyste est responsable de l’inflammation. «En fait, j’avais plein de petits kystes.» Après analyse, le diagnostic tombe: ils sont dus à l’endométriose, une maladie inflammatoire qui touche une femme sur dix (voir encadré). Alors qu’elle se remémore ce moment, ses yeux bruns trahissent ses émotions, mais sa voix forte et claire, atteste de sa détermination à parler de sa maladie, encore incomprise par la science.

L’endométriose, c’est quoi? L’endométriose est une maladie gynécologique qui se définit par la présence anormale de cellules en dehors de la cavité utérine. Ces dernières touchent alors l’endomètre, le tissu qui tapisse normalement l’intérieur de l’utérus et qui est éliminé sous forme de règles. «Ces cellules s’implantent et touchent d’autres organes pour finalement y provoquer des lésions», précise le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
La maladie concerne 10 à 15% des femmes en âge de procréer, 25 à 40% des patientes avec des douleurs chroniques pelviennes et environ 30% des patientes présentant des troubles de la fertilité, toujours selon le CHUV.
Il existe plusieurs théories pouvant expliquer la survenue de l’endométriose, mais aucune ne fait l’unanimité à l’heure actuelle. Pour l’instant, la prise en charge de la maladie repose sur un traitement hormonal ou une intervention chirurgicale. 

Ce diagnostic met fin à cinq ans d’incertitudes. Les premiers symptômes sont survenus lorsqu’elle avait 18 ans. Ses menstruations passent d’une durée de cinq jours à dix jours. Avec la chaleur, il arrive que les saignements durent deux semaines. Les hormones font également gonfler son corps. «Je pouvais prendre jusqu’à cinq kilos pendant mes règles. Je n’arrivais plus à contrôler mon corps, alors que j’en avais besoin pour jouer», confie celle qui aime anticiper chaque détail.

Les contrôles de routine, effectués depuis ses 14 ans chez son gynécologue, n’ont pas permis de découvrir la maladie inflammatoire. Ses kystes, positionnés au dos de ses ovaires passent sous le radar. «A 18 ans, ce que je vis dans mon corps est horrible. Mais, paradoxalement, j’ai beaucoup de confiance en moi, je me sens bien, je vais commencer l’université. C’est une période heureuse», partage la jeune femme. Marta Peiró Giménez est alors la meilleure buteuse de la saison chez les jeunes du Valencia CF, équipe historique du championnat espagnol. Sa joie de vivre tient à distance la souffrance physique.

L’année suivante, lors la saison 2017-18, son nouveau coach n’aime pas son style de jeu et la met sur la touche. «C’est ça, le football: tu as marqué 20 buts en équipe nationale, mais quelqu’un décide pour toi, peu importe la qualité de ton travail, et tu dois accepter la situation.» Son état mental décline. Malgré les solutions qu’elle a mises en place pour sa santé physique – comme adapter son alimentation grâce à un nutritionniste –, il n’y a pas d’amélioration, ni de réponses à ses questions. Durant cinq ans, la joueuse prendra trois anti-inflammatoires par jour pour réduire ses douleurs. Résultat: un ulcère de l’estomac.

Après l’opération, elle prend conscience de la gravité de son état de santé. «J’avais déjà perdu 82% de fertilité. Si je continuais comme ça, j’allais perdre la possibilité d’être mère, et je ne voulais pas prendre cette décision à 23 ans.» Elle décide alors de mettre fin à sa carrière de joueuse professionnelle.

La retraitée des terrains se tourne alors vers son travail dans l’hôtellerie, qu’elle exerçait déjà en parallèle du football, pour pouvoir rester en Suisse. À l’automne 2023, Servette Chênois lui propose de reprendre le poste de team manager. Voyages, logements, démarches administratives, l’Espagnole accompagne désormais en continu les joueuses pour qu’elles puissent se donner à fond sur le terrain.

En plus de la gestion administrative, elle endosse parfois le rôle de médiatrice entre l’équipe et l’entraîneur. «Quand je jouais encore, il me manquait un point de vue féminin dans le staff, surtout par rapport à ma maladie qui touchait aux règles. Aujourd’hui, dès que j’arrive dans les vestiaires, j’entends des ”Marta, Marta” de tous les côtés», relate la confidente des sportives. 

Son goût du collectif continue de la porter alors qu’elle a raccroché les crampons. Enfant déjà, elle avait choisi le football – plutôt que le tennis qu’elle pratiquait aussi – pour cette raison. «Ce que j’aime par-dessus tout, c’est d’avoir le sentiment d’appartenir à une équipe, à une famille», confie Marta Peiró Giménez.

Une empathie et un vécu précieux

La directrice sportive de Servette Chênois, Sandy Maendly, vante la capacité de sa collègue à comprendre les besoins des autres. «Elle a cette empathie qui est l’un des aspects les plus importants pour ce rôle, partage celle qui a été milieu de terrain au côté de l’Espagnole. Et elle connaît les difficultés que peuvent rencontrer les joueuses étrangères à leur arrivée à Genève.»

Alors qu’elle obtiendra son master en études genre à distance en juin, Marta Peiró Giménez ne se fait pas de grandes illusions concernant l’avenir du football féminin. «Selon moi, l’égalité est impossible. Mais j’aimerais que la société prenne le foot féminin au sérieux. Ça ne devrait pas être étiqueté comme “masculin” ou “féminin”, ça devrait être “foot” pour tout le monde.»

Biographie
1998 Naissance le 14 avril à Valence en Espagne.
2004 Commence le football dans le club féminin de Torrent.
2016 A 18 ans, elle ressent les premiers symptômes de l’endométriose sans en connaître la cause.
2020 Rejoint le Servette FCCF durant l’été.
2021 Remporte le premier titre de l’histoire du club genevois, qui devient champion suisse.
2021 Découvre qu’elle est atteinte d’endométriose lors d’une opération de l’appendicite au mois d’octobre.
2022 Début décembre, elle annonce l’arrêt de sa carrière de footballeuse professionnelle.
2023 Reconversion en tant que team manager du SFCCF.

Par Julie Collet, Julia Zeder, Simon Gumy

Crédit photo mise en avant: Julia Zeder

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Pratiques journalistiques thématiques” dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel. Une version de cet article a été publié le 21 avril 2024 dans Le Matin Dimanche.

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