En 2018, le Valais a entamé un processus de révision complète de sa Constitution qui n’est toujours pas achevé cinq ans plus tard. Réviser une Constitution, comment ça marche et pourquoi s’être lancé dans ce processus fastidieux? Explications.
Faire table rase du passé pour repartir sur de nouvelles bases, c’est l’ambitieux projet dans lequel s’est embarqué le canton du Valais en 2018, l’un des derniers à s’y mettre. Mais pourquoi est-ce nécessaire? Parce que l’actuelle Constitution valaisanne date de 1907 et qu’elle ne reflète plus le Valais contemporain. Il n’y est fait aucune mention de l’égalité entre les sexes, de droit à la santé ou encore de protection de l’environnement.
C’est un comité non partisan, composé de politiciens de différents partis comme de simples citoyens, qui a été à l’origine de cette initiative en 2015. Les initiants ont mis en avant quantité d’éléments pour légitimer la nécessité de cette révision: le triplement de la population valaisanne, le dépeuplement des vallées en faveur des villes ou encore la profonde transformation du tissu économique, fait désormais d’industrie et de tourisme plutôt que d’élevage et d’agriculture.
Une Constitution vieillissante
Le droit des familles et les femmes ainsi que les questions environnementales ont également été invoquées. Si ces points sont actuellement des enjeux importants, il n’en était tout simplement pas question en 1907. Ainsi, la Constitution actuelle est vieillissante, bien qu’une vingtaine de changements aient été apportées par le biais de révisions partielles au cours des années. Une nouvelle mouture du texte dans son ensemble semble donc indispensable.
On pourrait penser que faire évoluer une Constitution vieille de 115 ans ferait l’unanimité, mais cela n’a pas été le cas. Au moment de voter sur l’initiative en 2018, le PDC et l’UDC s’y sont opposés. Si la révision de la Constitution a pu être lancée, c’est parce que la population, tout comme les autres partis, y étaient favorables. L’initiative a été acceptée à 72% le 4 mars 2018.
Un long processus législatif
Ce jour-là, le peuple a également plébiscité l’assemblée constituante, c’est-à-dire un organe formé spécialement pour remplir cette mission, pour qu’il s’occupe de cette révision. Fin 2018, les Valaisans sont retournés aux urnes pour élire 130 personnes parmi les 646 qui s’étaient portées candidates. La particularité valaisanne est d’avoir réussi à faire élire 16 membres du groupe non partisan Appel Citoyen, de simples citoyens sans expérience politique.
Ce n’est qu’en juin 2019 que les travaux de révision ont réellement commencé, quatre ans après le lancement de l’initiative. L’assemblée a alors été divisée en dix commissions thématiques, chacune constituée de treize membres qui travaillent sur un chapitre spécifique.
Entre avril et juin 2021, ces commissions se sont réunies plusieurs fois pour réaliser un avant-projet qui a été débattu, puis voté en fin 2021. Sur la base d’avis d’experts en droit constitutionnel, un deuxième avant-projet a été réalisé, puis débattu lors d’une deuxième lecture en novembre 2022. Au terme de cette seconde lecture, 12 articles font toujours débat et seront discutés en 2023 lors d’une nouvelle lecture.
La nouvelle Constitution vs. l’ancienne
Comparé à la Constitution en vigueur, ce deuxième avant-projet est bien plus inclusif et surtout plus adapté aux valeurs contemporaines. Y figurent certains droits humains, notamment l’égalité hommes-femmes, le droit à un environnement sain et celui à une éducation élémentaire gratuite. Mais le projet de nouvelle Constitution va plus loin et inclut le droit à une sécurité financière avant et après l’accouchement pour les femmes et le droit à un congé parental. Il instaure aussi un tribunal de la famille.
Certains articles acceptés – de justesse – par la constituante ont suscité beaucoup de controverse, notamment celui qui ouvre le droit de vote et d’éligibilité aux étrangers sur le plan communal. Sans grande surprise, l’UDC s’y est fortement opposé. Le parti veut aussi que les origines chrétiennes du Valais soient clairement mentionnées dans la future Constitution. La mention «Au nom de Dieu tout puissant» qui ouvre la Constitution de 1907 n’a d’ailleurs pas pu être retirée de cette nouvelle mouture.
La décision de faire passer le Conseil d’État de 5 à 7 membres, élus à la proportionnelle, a quant à elle suscité un lever de boucliers de la part du Centre – ancien PDC – qui pourrait perdre sa domination de l’exécutif dans le processus.
Dernier point auquel UDC, Centre et Verts Lib’ sont opposés : la représentation des femmes en politique. La composition de la constituante elle-même est très inégalitaire puisqu’elle compte environ deux tiers d’hommes. Pourtant, celle-ci a esquissé un article de loi qui promeut une certaine égalité de représentation dans les institutions administratives.
Qu’en est-il du reste de la Suisse ?
Actuellement, seuls trois cantons possèdent une Constitution qui est plus que centenaire : le Valais, Zoug et Appenzell Rhodes intérieures. Douze cantons ont changé de Constitution à la fin du 20ème siècle et les onze autres l’ont fait au début du 21ème. Ces révisions ont été effectué pour moitié via une assemblée constituante comme à Genève (2008-2012) et pour l’autre moitié via le Parlement cantonal, comme à Fribourg (1999-2004).
Le Valais est donc en bonne voie pour se doter d’une nouvelle Constitution, mais cela prend du temps. Toutes les parties impliquées veulent y trouver leur compte et certains mettent systématiquement les pieds au mur. Pourtant, il y a de l’espoir: en 2023, les membres de la constituante devront décider s’ils soumettent un texte au peuple et, le cas échéant, s’ils lui proposent des variantes. Les Valaisans pourront alors décider de faire entrer leur canton dans le XXIe siècle… ou renvoyer la constituante à ses études.
Par Grégoire Rapin, Julia Zeder et Catherine Rüttimann
Infographie: Grégoire Rapin (Peinture: Entrée du Valais dans la Confédération (1944), Ernest Biéler)