La prison suisse face aux violeurs récidivistes

La prison, une mauvaise école ? Régulièrement, les médias informent sur des violeurs « déjà connus des services de police ». Si ces hommes ont déjà été écroués par le passé, l’efficacité carcérale contre leur récidive peut être questionnée.

En septembre 2013, Adeline Morel est égorgée par Fabrice A. lors d’une sortie de thérapie équestre. L’assassin était condamné à 20 ans de prison pour deux viols. La sociothérapeute, quant à elle, travaillait au centre de la Pâquerette à Genève, fermé depuis le drame. Situé dans la prison Champ-Dollon, le centre était une entité administrative des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Cette intégration était une source de conflits entre une administration hospitalière et une administration carcérale très différentes. L’unité de la Pâquerette avait pour mission de préparer des détenus dangereux incarcérés depuis de nombreuses années à leur libération.

Cette affaire pose le débat sur le traitement des détenus dangereux en Suisse. Faut-il durcir les peines en ce qui concerne le viol ? Ou faudrait-il trouver d’autres alternatives ? Au fond, les prisons permettent-elles d’empêcher les récidives en cas de viol ?

Le viol et la récidive en Suisse

Bien que peu d’études aient été conduites à ce jour, il convient de se pencher sur les quelques chiffres empiriques concernant le viol et la récidive des condamné.e.s pour viol.

La récidive: un calcul compliqué

« Les sociétés modernes font de plus en plus appel à l’emprisonnement pour faire face à la criminalité », c’est le constat que dresse une étude de Gerry Johnstone présentée au comité européen pour les problèmes criminels en 2014. En France, le taux de récidive atteindrait presque les 60% comme l’explique Sylvain Lhuissier, auteur du livre Décarcérer. Ces chiffres sont toutefois difficiles à calculer et doivent être appréhendés avec précaution. En 2019, un document de l’office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) explicite que les taux de récidive peuvent changer selon la manière dont la récidive est mesurée et de la date à laquelle elle l’est. En Suisse, l’OFS calcule de taux de recondamnation pour calculer la récidive:

Le nombre de personnes ayant été condamnées durant une année donnée est pris en compte. Puis, le taux de récidive est établit en mettant ce nombre en rapport avec le nombre d’individus ayant – au cours des trois ans qui suivent – commis une nouvelle infraction leur valant d’être à nouveau condamnés.

Selon le dernier rapport de l’OFS, le taux de condamnation chez les adultes a diminué de 3% en 2020 mais celui des mineurs a augmenté de 6% par rapport à l’année dernière. Pour André Kuhn, professeur de criminologie aux universités de Neuchâtel et Genève, ces chiffres montrent que la plus ou moins grande utilisation de la prison n’a aucun effet sur la récidive en Suisse.

Traitement par la thérapie

La justice réparatrice apparaît comme une possibilité dans la gestion de la criminalité. Choisir l’incarcération plutôt que des méthodes thérapeutiques est inefficace selon l’étude de Gerry Johnstone. Pour éviter la récidive, dans les cas de viols spécifiquement, Béatrice Borghesio et Pier Guiseppe Defilippi expliquent dans un article que les traitements individuels sont inefficaces. Selon eux, « ce n’est qu’à partir d’une intervention thérapeutique de réseau, qu’un plan de traitement valide est envisageable ». Mais la justice réparatrice n’est pas la seule alternative proposée. Gwenola Ricordeau, professeure en criminologie à la California State University, imagine plutôt une justice transitionnelle ou transformatrice. Pour elle, la thérapie et le dialogue doivent se faire en dehors du système judiciaire car les agressions relèvent de l’ordre du privé. En effet, les viols sont perpétués, dans la majorité des cas, par des proches des victimes.

Toujours plus de verrous

En dépit de ses résultats prometteurs, la justice réparatrice est loin de faire l’unanimité. Actuellement, le durcissement des peines reste le moyen privilégié par l’Etat suisse pour empêcher la récidive. En 2018, la conseillère fédérale Sionetta Sommaruga (PS) soumet un texte de loi réclamant un alourdissement de la peine d’emprisonnement pour ceux et celles reconnu.e.s coupables de viol. Le texte est accepté et permet de faire passer la peine minimale de 1 à 2 ans pour les viols dits « classiques » et à 3 ans pour les viols aggravés (Art. 190.2 du Code Pénal suisse). Deux propositions similaires, plus sévères, avaient déjà vu le jour en 2009 et en 2016 par la conseillère nationale Nathalie Rickli (UDC) mais avaient été respectivement rejetées par le Conseil Fédéral et la Commission des Affaires. 

Si cette demande de révision de la loi a été réitérée à plusieurs reprises, c’est parce que le système carcéral suisse répondrait à une double problématique. D’un côté le besoin de punir et d’écarter les individus considérés comme dangereux et l’autre côté, de les rééduquer pour permettre leur réinsertion en société et donc, éviter la récidive.

Andreia Portinha Saraiva et Eléonore Deloye

Crédit photo : Hédi Benyounes sur Unsplash. 

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Publication, édition et valorisation numérique”, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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