« Voir les lecteurs comme des partenaires et non comme des consommateurs »

Alors que le journalisme vit une période difficile et fait souvent l’objet de critiques, une des pistes proposées est de (re)gagner la confiance du public. Mais comment (re)construire ce lien de confiance, notamment autour de sujets compliqués voire controversés?

« Nous vous avons distribué des cartes jaunes, ce qui vous permettra de réagir durant la session », annonce Kerstin Hoppenhaus, la modératrice de la conférence « Working with your audience: Building trust around difficult topics », à la Conférence mondiale des journalistes scientifiques à Lausanne cette semaine. Interagir avec l’audience, un must lors d’une session qui traite spécifiquement de ce sujet!

Dans le panel se trouvait Stephanie Snyder, qui travaille chez Hearken, une entreprise qui aide des médias à écouter et impliquer leurs publics dans leurs processus de décision. L’autre panéliste était Ben Whitelaw, qui participe au programme Engaged Journalism Accelerator au European Journalism Centre. Cette initiative soutient les rédactions qui souhaitent mettre en place un journalisme plus participatif.

« Changer la personne qui se trouve sur le siège conducteur » Stephanie Snyder

Les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs sont au centre du changement de perspective. « Chacun mérite d’être écouté », avance Stephanie Snyder. L’idée est de passer d’une vision où les rédactions disent à leur audience ce qu’elles pensent nécessaire d’être dit à une vision où les médias demandent à leur lectorat ce qu’il souhaite savoir. « Il faut voir les lecteurs comme des partenaires et non comme des consommateurs », continue Snyder. Il faut donner une chance au public de s’exprimer, parce que celui-ci peut probablement aussi amener des informations. Lui donner de la place, ça commence par prendre en compte les remarques des internautes sur les réseaux sociaux. Selon Ben Whitelaw, il ne faut pas partir de l’idée que ces commentaires n’ont de toute manière rien à apporter… Au contraire.

 

Considérer les contributions du public, c’est ce qu’a fait Maldita Ciencia, un site de fact-checking espagnol. Whitelaw indique que le programme Engaged Journalism Accelerator l’a aidé à prendre en compte les expertises de membres de son audience, constituée notamment de chercheurs ou de médecins.

Comme l’explique Whitelaw, construire une communauté prend du temps. Snyder ajoute: « L’engagement envers l’audience est un processus, pas seulement un résultat. » Et ce travail ne concerne pas seulement une personne ou une petite équipe, mais l’ensemble d’une rédaction.

Découvrir ce qui intéresse l’audience

Pour s’engager avec le public, les journalistes doivent mieux le connaître. Pour ce faire, il est nécessaire d’écouter les gens de manière empathique. Stephanie Snyder préconise les rencontres physiques avec le lectorat pour garder un lien avec celui-ci. Elle illustre: « S’auto-engager à parler régulièrement avec une personne de l’audience, par exemple trente minutes par semaine. »

Que ce soit en face-à-face ou en ligne à travers des réponses aux commentaires, les deux panélistes s’accordent à dire que c’est le rôle des journalistes de savoir ce qui intéresse l’audience, quitte à ralentir le mouvement. « Il n’y a pas besoin d’être toujours le premier sur un sujet sur Internet », commente Whitelaw. On peut prendre du temps pour écrire un article. Et parfois, rédiger un papier n’est pas la solution pour gagner la confiance de l’audience.

« Le mieux est d’aller rencontrer les gens là où ils sont, même s’il s’agit d’aller dans un pub. » Ben Whitelaw

Le terrain. Voilà une autre piste, soulignée par Stephanie Snyder, que peuvent suivre les journalistes pour gagner la confiance de leurs lecteurs autour de sujets difficiles, que ce soit en journalisme scientifique, mais aussi dans d’autres genres du métier.

 

Rester en contact avec la réalité du terrain, c’est une affaire de ligne éditoriale à définir par la rédaction en chef, mais pas seulement. « Les initiatives peuvent définitivement venir des journalistes », assure Whitelaw. Ce qui confirme le fait que s’engager avec l’audience concerne toute une rédaction.

Un cercle vertueux

« Plus on écoute le public, plus celui-ci va avoir confiance en notre média et cette confiance aura un impact financier positif », résume Whitelaw. Les deux panélistes insistent sur les bienfaits à long terme d’un tel processus. « A court terme, c’est vrai que le temps et les ressources sont des défis », concède Stephanie Snyder. Elle avoue que ça peut être compliqué d’avoir un journaliste entièrement dédié durant plusieurs heures à communiquer avec les internautes.

A long terme, on peut mesurer le succès de l’implication du public dans les processus de rédaction. « Si le business model fonctionne par inscriptions ou abonnement, on verra le nombre d’abonnés ou le nombre d’inscriptions pour lire un article augmenter », précise Ben Whitelaw.

Argument ultime pour justifier un tel changement de perspective: selon les deux intervenants, il a été prouvé que les articles qui marchent le mieux sont ceux dont les thématiques ont été suggérées par la communauté.

Photo en une: Kim de Gottrau

Photos dans les vidéos: WCSJ19

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