//

Les jeunes paysans, entre galères et passion

En 2021, il faut du courage pour se lancer dans l’agriculture.  Difficultés financières, critiques acerbes des antispécistes et horaires irréguliers. A première vue, rien de très attirant.  Pourtant, la relève est bel et bien présente et porte un regard tout particulier sur son métier.

« L’idée, c’est de motiver les jeunes. » Voilà comment Valentin Stauffer, 25 ans, définit le Club des jeunes éleveurs neuchâtelois. Ce jeune fermier de La Chaux-de-Fonds le préside depuis un an et demi. S’il s’engage malgré son travail épuisant, c’est parce qu’il croit à la beauté de ce métier. Au Club, on cherche à motiver les futurs agriculteurs à réaliser leur rêve, malgré les difficultés. Et des difficultés, il y en a beaucoup.  

Sans terrain, impossible d’exercer

Lorsqu’il s’agit de se lancer, le premier obstacle à franchir est bien sûr l’acquisition d’un terrain. Si certains reprennent celui de leur famille, ce n’est pas le cas de tout le monde. En 2016, plus de 60 jeunes diplômés en agriculture cherchaient des terres à reprendre. « Pour un agriculteur qui finit l’apprentissage sans domaine familial à reprendre, c’est très difficile. Sans fonds propres, on n’arrive à rien. Je connais des gens que ça a bloqué. Il leur manquait 100’000 ou 150’000 francs. Pourtant ils étaient très motivés, c’est dommage. »

Pour lui, la solution ne doit pas nécessairement venir des aides de la Confédération : « On ne peut pas juste prêter de l’argent sans rien demander, sans intérêts. » D’autres solutions existent. Par exemple, un proche de Valentin travaille dans une exploitation ne lui appartenant pas. Vu son manque de fonds propres, l’exploitant lui revend progressivement ses parts. Le but pour ce dernier est d’arriver à la retraite en lui ayant vendu toute l’exploitation.

Une autre façon de contourner le problème est de recourir aux aides fédérales. Jusqu’à 35 ans, la Suisse propose des prêts sans intérêts aux jeunes agriculteurs. Reste qu’il faut avoir des fonds propres suffisants pour pouvoir prétendre à ceux-ci.  

Les difficultés pour accéder à la propriété sont nombreuses. Valentin Stauffer expose ci-dessous les nombreuses contradictions de ce problème :

Les villes, hostiles aux campagnes ?

La question des aides de la Confédération en soulève une autre : celle du soutien politique. Valentin, comme plusieurs membres de son club, craint la montée en puissance de mouvements politiques peu favorables aux paysans : « Il y a vraiment certains partis qui sont là pour nous enterrer. Ça me fait du souci. Qu’est-ce que ça va donner si dans 20 ans les gens qui sont au pouvoir ont envie que l’agriculture s’arrête ? »

Selon lui, le problème dépasse la coupole du Palais Fédéral. C’est toute une frange de la population qu’il sent hostile au métier d’éleveur : « La population veut de plus en plus donner son avis sur comment on doit travailler. Pourtant ce sont souvent des gens qui n’ont aucune idée. Avec le temps c’est usant et je me demande jusqu’où ça va aller. »

Valentin Stauffer détaille ci-dessous ses craintes concernant une société de plus en plus critique envers les éleveurs :

Un avis que Damien Humbert-Droz tient à relativiser. Cet agriculteur et député au Grand Conseil neuchâtelois de 42 ans estime que les milieux ruraux ont leur part de responsabilité dans cette fracture ville-campagne : « La compréhension entre urbains et ruraux est moins bonne que par le passé. Au lieu de se justifier, on devrait surtout expliquer ce que l’on fait, montrer qu’on ne travaille pas mal. Ça, les organisations agricoles ne l’ont peut-être pas suffisamment fait. »

Pour ce paysan d’une autre génération, les jeunes agriculteurs déchantent car ils ont souvent été mal informés. Il rappelle notamment l’importance du travail administratif, même dans ce métier manuel : « Ce n’est pas l’aspect du job que les jeunes préfèrent. Certains se sont lancés parce qu’ils se voyaient faire un beau métier dans la nature. Mais ce sont aussi les contraintes du métier. Elles ne sont pas problématiques, il faut juste bien sensibiliser les jeunes au fait qu’elles existent. »

La solution réside dans la formation

Le bachelor en agronomie de la HES Berne propose notamment des formations adaptées aux nouveaux défis du métier d’agriculteur. Photo : bfh.ch

Une réalité inaltérable, tout comme les risques de ce métier. « Il n’y a pas d’âge pour être un bon indépendant, affirme t-il. Mais cela impose un certain nombre de contraintes économiques qui sont difficiles ! Il faut être très structuré, savoir faire du business comme dans les autres métiers. »

Pour lui, la solution se trouve donc en amont : lors de leur formation, les futurs éleveurs et agriculteurs doivent être sensibilisés à ce sujet. Il salue d’ailleurs une vraie volonté de la part de la Confédération à ce niveau : « Ces changements sont en cours. Dans le projet de loi PA 2022, l’exigence du brevet pour obtenir des paiements directs était un peu exagérée. Cependant, cela montre qu’il y a une prise de conscience sur la nécessité de bien former nos jeunes. »

Damien Humbert-Droz explique ici la nécessité d’avoir un esprit entrepreneurial lorsqu’on est agriculteur :

La passion reste la même

La politique divise les générations mais la passion les rassemble. Un même amour du bétail anime les deux éleveurs : « Il y a des contraintes mais aussi des moments de bonheur, rappelle Damien Humbert-Droz. On vit avec les animaux, on est confrontés à leur naissance et à leur mort. C’est notre métier. »

Comme un écho, Valentin exprime aussi l’attachement profond qui le lie à ses bêtes : « Mes vaches je les aime. On se lève tous les matins pour les chouchouter. Ça m’est arrivé d’être à côté d’une vache qui est morte et de pleurer. Il y en a qui ont 15 ans et je ne me vois pas vivre sans. »

Quant à la jeune génération, les deux s’accordent pour dire qu’elle a un rôle important à jouer dans le renouvellement de ce travail.  « Le contact des jeunes est extrêmement enrichissant ! s’exclame Damien Humbert-Droz. Ils nous poussent à nous remettre en question et Dieu sait que ce regard fait du bien.  Il faut juste qu’ils trouvent leur place dans ce métier. »

Valentin Stauffer parle du lien particulier entre un éleveur et ses bêtes :

Par Emilien Ghidoni

Ce travail journalistique a été réalisé dans le cadre du Master en journalisme et communication (MAJ)

Crédit photo : Marcel Langhim

Derniers articles de Pixel et Poivre