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Le consentement, une notion qui divise les forces politiques

Si tous les partis s’accordent sur l’importance à moderniser la loi sur le viol, le volet sur le consentement scinde les forces politiques suisses en deux parties : celle favorable au “Seul un oui est un oui” , votée par le Conseil National le 5 décembre, et celle partisane du “non c’est non”, choisie par le Conseil des Etats en juin dernier. Alors, quelle est la différence entre ces deux définitions ? Décryptage.

Selon un sondage représentatif de gfs.bern, basé sur des données de 2019, plus de la moitié des femmes en Suisse ont subi des attouchements contre leur gré et plus d’une Suissesse sur cinq a déjà subi des actes sexuels non désirés. D’après la loi relative au viol en vigueur, l’expression de leur refus ne permet pas de qualifier ces actes comme des viols ou des agressions sexuelles. Les milieux féministes et nombre d’ONG pointent du doigt, depuis plusieurs années, les angles morts d’une loi en décalage avec notre époque et demandent d’y inscrire le consentement. Seulement, deux visions du consentement s’entrechoquent: celle de “seul un oui est un oui” et celle du “non c’est non”. Quelles sont leurs particularités? Et comment feraient-elles évoluer la définition actuelle de la loi?

Une définition problématique

On trouve la définition juridique du viol dans l’article 190 du Code pénal : “Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exer­çant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel, sera puni d’une peine privative de liberté d’un à dix ans.”

Les forces politiques s’accordent sur la nécessité à ouvrir la définition du viol. Selon la législation actuelle suisse, les hommes et les personnes non binaires ne peuvent pas être victimes de viol. Quant aux auteurs, il ne peut s’agir que d’hommes. La pratique sexuelle péno-vaginale est la seule pouvant mener au viol. D’autres actes sexuels forcés comme la pénétration vaginale par un objet, la fellation imposée ou la sodomie, sont compris comme une “contrainte sexuelle” – article 189 du Code pénal – et non comme un viol.

Par ailleurs, ce focus sur une pratique sexuelle hétéronormée est considéré par beaucoup comme discriminant envers les personnes LGBTQIA+. En revanche, si le caractère contraignant, nécessaire pour qualifier juridiquement un viol, convainc tous les partis politiques à introduire le consentement dans la loi, la définition de ce dernier les divise. 

Quel consentement ?

Deux propositions ont été faites pour intégrer le consentement dans la loi en vigueur. La première “non c’est non” souhaite que les infractions se basent uniquement sur l’expression d’un refus. La seconde “seul un oui est un oui” réclame un consentement explicite. Les partisans de la seconde craignent que le point de vue adverse ne tienne pas suffisamment compte des cas de sidération lorsque la victime, tétanisée, n’arrive pas à dire non à son agresseur. Selon une étude suédoise, 70% des victimes sexuelles ont subi des viols en état de sidération.

Pour Amnesty International, partisan du “seul un oui est un oui”, la proposition du “non c’est non” remet une part de la faute sur la victime. Ils déclarent dans un communiqué qu’en ”se prononçant en faveur d’une définition progressiste du viol, la Commission juridique du Conseil national répond à une demande centrale des personnes victimes de violences sexuelles.”

La ministre de la Justice Karin Keller-Sutter a déclarée en ce sens: “Cette révision est un pas important, mais quel que soit le modèle choisi, il n’éliminera pas les difficultés d’obtenir une preuve […] car les délits sexuels sont souvent commis entre quatre yeux par des agresseurs connus des victimes”. En effet, 68% des victimes de violences sexuelles connaissent leurs agresseurs.

Les détracteurs du “seul un oui est un oui” estiment que la mesure rendrait difficile la différenciation entre un viol et un rapport consenti. Dans les faits, ce cas de figure est prévu par la loi, qui tient compte du consentement implicite des deux parties. En juin 2022, le Conseil des États avait voté pour la proposition de “non c’est non”. A contrario, en décembre 2022, le Conseil National avait voté en faveur “seul un oui est un oui”.

Tour d’horizon chez nos voisins

En France, le viol se définit comme une “atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur”. C’est donc le système du “non c’est non”. Des lois similaires existent en Autriche, au Liechtenstein et en Italie.

En Europe, 13 pays ont modifié la loi dans le sens du consentement obligatoire. Les deux derniers en date sont la Croatie et le Danemark. Le débat est souvent déclenché par un événement d’actualité, comme en Espagne après le viol en groupe par 5 hommes sur une femme à Pampelune en 2016. 

Censée lutter contre les viols, la loi du “seul un oui est un oui” a paradoxalement provoqué la libération de prisonniers en Espagne. En cas d’introduction d’un changement dans la loi pénale, des peines plus légères peuvent être appliquées. Cette idée de théorie contre pratique est au cœur du débat. Les partisans du projet de loi “seul un oui est un oui” voient eux la possibilité de reconnaître le statut de victime. 

La Suisse n’a toujours pas choisi sa définition pénale du consentement. Le “non c’est non”, adopté par le Conseil des Etats en juin 2022, a été contré par le vote pour le “seul un oui est un oui” du Conseil National en décembre. Les deux chambres doivent désormais s’accorder sur la variante qui sera retenue dans la nouvelle définition de la loi.

Par Fatine Arji, Pablo Laville, Gizem Bayandur & Salomé Laurent

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