Créer un soleil sur Terre. L’idée semble tirée d’un film de science-fiction. À l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, c’est une réalité. Reportage.
Un temps grisâtre et maussade surplombe l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne pendant le repas de midi. Seuls les étudiants, attroupés aux roulottes de cuisine à l’emporter devant le Rolex Learning Center, réchauffent la rétine avec leurs écharpes colorées.
À quelques mètres de là se trouve l’Esplanade, où nous avons rendez-vous avec Alexandre, étudiant en master en robotique. Lui aussi est venu visiter le Tokamak. « Le Tokamak est une de ces perles rares du campus que l’on n’a pas toujours l’occasion de visiter, surtout avec le Covid. » Depuis la pandémie, l’accès des instances nucléaires du campus s’est largement restreint. « Ça va être trop bien, je me réjouis de la visite ! »
Alexandre nous présente l’EPFL Innovation Park. Nous distinguons un bâtiment bétonné, quasi-brutaliste, en forme de paquebot. C’est le Tokamak TCV. Nous arrivons à peine au pied du mastodonte qu’une porte s’ouvre…
Le Tokamak de l’EPFL, une référence pédagogique et technologique
Une ambiance sonore industrielle s’échappe du bâtiment. « C’est vous les journalistes ? Vous avez de la chance. Normalement les mercredis la machine est en fonction. » Nous sommes accueillis par un monsieur, la cinquantaine, habillé d’une chemise et pull en col V, couleur bleu marine. C’est Yves Martin, adjoint au Directeur du Swiss Plasma Center (SPC).
Il nous fait le tour du laboratoire où ont lieu habituellement les visites guidées destinées aux classes de gymnase. Des écrans affichant des formules chimiques et des théories sur le plasma sont fixés sur les murs gris. Plusieurs plans et maquettes du réacteur Tokamak sont exposés à des fins pédagogiques. « Avant le Covid, on avait près de 3’000 visiteurs par an. Ça a baissé à 500, mais aujourd’hui ça repart de plus belle ! »
Au fond de la pièce, une maquette de détail se distingue. C’est une réplique du Réacteur thermonucléaire expérimental international, l’ITER. Ce tokamak français d’une trentaine de mètres est le fruit d’une collaboration entre l’ensemble de l’Union Européenne et d’autres États dont notamment le Japon, les États-Unis et la Suisse. En ce sens, le tokamak de l’EPFL est une version miniature de ce projet. Les deux instances du nucléaire collaborent régulièrement pour développer la fusion nucléaire : créer des sources d’énergie presque inépuisables et non-polluantes de l’environnement.
Entre temps, Yves Martin nous introduit brièvement aux théories sur l’énergie et les différentes formes du plasma. Alors qu’il est sur le point de conclure sa présentation, il ouvre un portique hautement sécurisé : seul obstacle se dressant entre nous et le réacteur nucléaire expérimental.
L’énergie du soleil à portée de main
Au bout du couloir, une salle éblouissante. Une dizaine d’ingénieurs et techniciens du vide la parcourent, piétinant des câbles noirs épais, sous des passerelles grises et esquivant les innombrables appareils jaune fluo. Au centre de tout ça, une machine cylindrique métallique. Des bobines en cuivre lui donnent un peu de couleur. C’est le Tokamak, acronyme russe de « chambre toroïdale avec bobines magnétiques ».
Équipé de tous ses appareils de mesure pour calculer la densité, le rayonnement, la turbulence, la température, le chauffage et les systèmes à vide… le réacteur est, en soi, relativement petit. Mais ne le sous-estimons pas. « Le réacteur est capable de créer un mini-soleil de 170 millions de degrés. Une température 10 fois plus élevée que celle du noyau de notre Soleil ».
Pour Yves Martin, la technologie des tokamaks est indispensable : « On sera obligés d’en construire si on veut sortir du carbone… les énergies renouvelables ne sont malheureusement pas stockables. La fusion nucléaire est une source d’énergie durable et pratiquement non-polluante de l’environnement. Elle ne pose pas les mêmes problèmes que la fission nucléaire. »
Il est 16 heures. Le temps a passé à la vitesse de l’atome.
Un engouement académique rare pour le nucléaire
Cinq minutes à pied. Un édifice datant des années 90 aux stores orangés abrite le Cubotron, bâtiment des sciences physiques au campus de l’UNIL. C’est là que se forment les physiciens du nucléaire de demain. Ascenseur, 6ème étage. Une dizaine d’élèves suivent le cours Introduction to particle acceleration. Trois d’entre eux sont en génie nucléaire.
Originaires d’Allemagne, des États-Unis et du Liban, ils se réjouissent de l’engouement académique pour le domaine : « Il n’y a jamais eu autant d’étudiants en nucléaire ! On est une vingtaine !» affirme l’un d’entre eux. Nicolas König est même engagé dans une association pronucléaire : « On essaie de faire valoir le nucléaire auprès des partis verts allemands. Le succès est pour l’instant mitigé. » Et pour cause, le nucléaire est toujours un sujet tabou. Constat partagé par Francis Borys : « Aux États-Unis, ils pensent à Fukushima, ou pire encore ! Aux armes nucléaires… Le stigma est toujours présent, mais petit à petit les gens comprennent. »
Alors que nous nous apprêtons à partir, Michel Saliba nous lâche juste avant la fin de sa pause : « Les gens sont trop habitués à leur confort. Au Liban on a parfois 4 heures d’électricité par jour. Le potentiel du nucléaire est trop grand pour ne pas être exploité. »
Après le nucléaire, l’afterwork en terrasse
Il est 18 heures passées. Le soleil s’est pratiquement couché. Le ciel est plus dégagé et le froid un peu plus transperçant. Direction l’arrêt du métro EPFL où s’agglutinent des dizaines d’étudiants. Certains partent direction Lausanne, d’autres en direction Renens. D’autres encore profitent du peu qu’il reste de la journée pour boire une mousse en afterwork sur la terrasse du Taphouse. Des burgers, des frites, des choppes de bière et des clopes roulées. L’ambiance est festive et le froid ne les dérange pas.
Entre temps, notre métro arrive. Dix minutes s’ensuivent, juste à temps de prendre le RER direction Bussigny. Sur les écrans du train, les actualités du jour. Parmi elles « La France va relancer la construction de réacteurs nucléaires. »
Par Francisco Carvalho da Costa
Crédits photo © KEYSTONE ATS
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Atelier presse”, dont l’enseignement est dispensé collaboration avec le CFJM, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.