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La pandémie limite la diffusion mais invite à la création

Tandis que de nombreux médias luttent pour survivre face à la baisse des revenus publicitaires et la suppression de leurs canaux de distribution, des initiatives locales voient le jour pour conserver le lien entre les citoyens. Rencontres avec Fabien Feissli, fondateur du journal Micro, et Jonas Brunetti, récent co-créateur de la webradio du centre culturel Ébullition.

L’annonce de la mort du journal le Régional, au début du mois, a illustré de façon particulièrement visible les difficultés rencontrées par certains médias durant la crise. Indépendant et gratuit, l’hebdomadaire qui couvrait l’Est lausannois et le Chablais a été touché de plein fouet par la baisse des revenus publicitaires qui constituaient sa seule véritable source de revenus. Il a finalement été contraint à mettre définitivement la clé sous la porte le jour de son 25e anniversaire.

“C’est une période difficile, en particulier pour les médias locaux qui dépendent surtout de contrats publicitaires de petite valeur et à court terme avec des entreprises locales”, explique Clare Cook, chercheuse et co-fondatrice du Media Innovation Studio. Au-delà des difficultés de financement, la pandémie de coronavirus limite aussi de nombreux médias dans leur diffusion.

Interdiction d’avoir des journaux

Exemple avec “l’hebdomadaire 100% romand” Micro, qui a été coupé de la majeure partie de son lectorat et de sa clientèle lors de la fermeture de tous les commerces non-essentiels, à la mi-mars. Dès sa création il y a un an, le journal papier a choisi les cafés, les bars, les restaurants et les salles d’attente comme principaux canaux de diffusion. Les ménages privés ne représentent que quelques centaines d’abonnés. D’après Fabien Feissli, le fondateur du journal, une pause était inévitable.

Et même si la plupart des commerces ont pu rouvrir leurs portes lundi, Micro n’est pas prêt de paraître à nouveau. Les cafetiers et les restaurateurs ont en effet l’interdiction de mettre des journaux à disposition de leur clientèle, sur une décision de GastroSuisse visant à diminuer les risques de propagation du virus.


Au sein de certaines rédactions romandes, l’interdiction de distribuer des journaux papiers dans les établissements est accueillie avec amertume. Le rédacteur en chef du mook Sept et du site sept.info, Patrick Vallélian, ne mâche pas ses mots: “Si ce n’est pas le coup de grâce, cela y ressemble furieusement”, lance-t-il dans un communiqué. “Cette décision nous prive d’un lectorat important. Elle est d’autant plus incompréhensible qu’elle ne se base sur aucune base légale ou scientifique.”

De son côté, la secrétaire générale d’Impressum Dominique Diserens déplore une situation “paradoxale”: “D’un côté on soutient les journaux par des aides et de l’autre on les interdit dans les cafés et restaurants, coiffeurs, etc. Les médias, quoique beaucoup sollicités par le public qui recherche de l’information fiable et vérifiée, souffrent beaucoup de la crise. Il ne faudrait pas qu’ils souffrent encore plus.”

S’il dit être “forcément déçu” pour son journal, Fabien Feissli tente quant à lui de relativiser et de prendre son mal en patience. Mais personne au sein de l’équipe de Micro ne souhaite laisser durer cette situation incertaine éternellement. L’avenir du journal devrait être fixé avant l’été, peut-être même plus tôt encore.

En attendant, les cafés romands et leurs habitués devront se passer de leurs journaux. Dans un billet d’humeur publié sur lematin.ch, pure player qui a succédé à feu Le Matin papier, le journaliste Éric Felley regrette ce rituel à ses yeux si important pour la vie en communauté: “Quelle que soit l’heure, lire le journal est la raison de venir au bistrot pour beaucoup, une façon de s’informer dans un environnement social et de commenter l’actualité avec d’autres.”

«Sans la pandémie, on ne se serait jamais lancés»

Réussir à rester en contact avec les habitants de la région, c’est justement le souhait de Jonas Brunetti et ses camarades d’Ébullition, à Bulle, dans le canton de Fribourg. Le centre culturel a été contraint de fermer à la mi-mars, comme tous les établissement non-essentiels du pays. Alors pour ne pas laisser les habitués du lieu orphelins, la petite équipe s’est lancée dans la création d’une webradio, bien que personne n’ait d’expérience préalable dans le domaine.

“À bien des égards, cette période invite à la créativité et l’innovation car il y a un problème réel et tangible qui nécessite une solution”, estime Clare Cook. “On peut espérer que le journalisme et les médias dans leur globalité soient davantage perçus comme un service de grande valeur pour la société.”

L’idée de créer une radio en ligne avait déjà traversé l’esprit des jeunes fribourgeois, mais la crise du coronavirus a été l’élément déclencheur. “Ça évolue de semaine en semaine, il y a toujours des ajouts”, explique Jonas Brunetti. L’équipe a appris sur le tas. “Finalement c’était pas si compliqué”.

La web-radio d’Ébullition compte désormais une quinzaine d’émissions différentes et diffuse 24 heures sur 24. Jonas Brunetti et ses amis prennent les choses comme elles viennent, ravis de voir que leur projet rencontre plus de succès qu’attendu. Il n’exclut pas de continuer à faire vivre cette radio locale, même une fois la crise du coronavirus passée.

 

Tiffany Terreaux et Lucas Philippoz

Ce travail journalistique est issu du projet #médiasconfinés (cours “Compétences numériques pour le journalisme”) dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

 

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