« Les derniers seront les premiers et les premiers seront derniers ». Il faut croire que cette maxime biblique s’applique également à la politique cantonale. Le 7 novembre dernier, le peuple fribourgeois se rend aux urnes pour élire son Conseil d’État. Grand vainqueur de ce premier tour et suivi de près par ses coéquipiers de gauche, Jean-François Steiert (PS) culmine avec 32’892 suffrages. Un résultat canon (pas étonnant pour le chouchou de la ville de Fribourg), mais qui ne lui suffit pas pour obtenir la majorité absolue. Ballotage général et second tour fixé au 28 novembre.
Trois semaines plus tard, les Fribourgeoises et Fribourgeois retournent aux urnes avec en main, des listes bien différentes… En effet, reléguée en bas de classement lors du premier tour, la droite a redistribué les cartes en formant une alliance entre le PLR, Le Centre et l’UDC. Ce sera donc alliance contre alliance. L’entente de droite « En avant Fribourg », bien que maladroitement traduite par « Forwärts Freiburg » dans le stress électoral, a séduit. Didier Castella (PLR), Olivier Curty (Le Centre), Romain Collaud (PLR) et Jean-Pierre Siggen (Le Centre) placent la droite en haut du podium. En 5e place, la Verte Sylvie Bonvin-Sansonnens limite la casse du côté de l’Entente bourgeoise. La 6e place revient à Philippe Demierre, qui permet à l’UDC de faire son grand retour à l’exécutif cantonal. Jean-François Steiert ferme la marche. Enfin, Valérie Piller Carrard (PS) et Sophie Tritten (CG-PCS) ne sont pas élues.
Jean-François Steiert, grand favori du premier tour se retrouve donc dernier du second tour et évite de justesse la perte de son fidèle siège au Conseil d’Etat. Mais comment expliquer une telle dégringolade ?
Mais où a-t-il perdu des voix ?
Lorsqu’un candidat chute dans les suffrages, on s’imagine forcément que lui et/ou son parti ont perdu des voix. Pourtant, les statistiques de l’Etat de Fribourg prouvent le contraire…
Le 28 novembre, dans tous les districts du canton, le socialiste et son parti récoltent plus de suffrages que trois semaines auparavant. L’écart entre le premier et le second tour est particulièrement flagrant en Sarine, berceau du PS et de sa locomotive. Un gain de voix étonnant mais pourtant très logique. Premièrement, le taux de participation s’est révélé plus important au second tour. 41,38% de la population s’est rendue aux urnes le 28 novembre, contre 37,63% le 7 novembre. Les votations fédérales auront sans doute motivé les citoyens à remplir leurs bulletins. Deuxièmement, la gauche comme la droite ont profité du report de voix des partis et candidats éliminés au premier tour (pvl, PA, DDSN-Fribourg). En conclusion, la dégringolade du PS et de Steiert ne s’expliquent pas par une perte de voix lors du second tour. Au contraire, ils en ont même remporté plus grâce à un taux de participation supérieur et un report des voix.
Mais alors, comment expliquer cette chute ?
En observant les statistiques, il apparait que la gauche a réalisé un « bon » second tour. Serait-ce donc que la droite a quant à elle réalisé un « excellent » second tour ? La droite n’aurait-elle simplement pas volé la vedette à la gauche ?
Visiblement, tous les candidats et candidates ont progressé au second tour. Cependant, la progression est criante du côté de la droite. Le pourcentage des suffrages obtenus par Jean-Pierre Siggen, mauvais élève du premier tour, double presque. Aussi, le nouveau venu Romain Collaud progresse de 5,1%. Enfin, le candidat UDC Philippe Demierre, non-élu au premier tour, passe de 4,2% des voix à 10,27%. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’alliance de droite établie entre les deux manches a eu raison de la gauche. Le bloc de droite a séduit, et les listes non biffées en sont la preuve. Au total, les urnes du canton ont enregistré quelques 30'133 listes de droite non modifiées. Les citoyens ont apparemment joué le jeu « alliance contre alliance », ils n’ont que peu joué du crayon.
Il semble évident que la force de frappe de « En avant Fribourg » ait été le facteur décisif dans la dégringolade de Jean-François Steiert et de l’alliance de gauche. Une alliance surprise qui fait d’ailleurs débat, car elle est venue modifier les listes (et les règles du jeu) en cours de partie. Cependant, il n’est pas exclu que d’autres facteurs aient également joué un rôle dans l’issue de ces votations cantonales… Les explications du principal intéressé.
3 questions à Jean-François Steiert
- Comment expliquez-vous ce triste second tour ? L’alliance de gauche fait environ un tiers des voix dans notre canton, l’alliance de droite deux tiers. Lorsque les deux se regroupent, ce qui n’était pas le cas au premier tour où seule l’alliance de gauche s’était constituée, la droite gagne assez largement, comme le reflète aussi le rapport de force au Grand Conseil. Le bon résultat apparent de la gauche au premier tour a par ailleurs soudé la droite au second tour, avec le « Centre » qui a accepté de retirer sa candidate et de faire alliance avec l’UDC, ce qui a conduit à un taux de traçage inhabituellement faible du candidat UDC et par conséquent à son élection en lieu et place de la deuxième candidate PS que la plupart des observatrices et observateurs attendaient.
- Beaucoup expliquent votre dégringolade par la force de frappe de l’alliance de droite, n’avez-vous donc rien à vous reprocher ? Comment expliquer notamment que Sylvie Bonvin-Sansonnens, de gauche également, vous dépasse au second tour ? Une alliance de trois personnes à gauche au second tour aurait peut-être évité de souder autant les partis de droite et permis par là de passer trois candidat-e-s de gauche devant le candidat UDC, mais c’est une simple hypothèse. En ce qui concerne mon résultat personnel et le fait que je passe de la première à la dernière place, il ne me semble manifestement pas dû à des facteurs liés à ma personne, dans la mesure où il n’y a pas eu d’événement particulier ou de reproches qui auraient pu me nuire entre les deux tour, mais à la fois aux explications données dans la réponse précédente et à un effet femme dans l’électorat de gauche, vue la liste exclusivement masculine de l’alliance de droite. Cet effet s’est fait ressentir essentiellement sur les listes de gauche, et en outre, dans une moindre mesure, dans l’électorat urbain des partis de la droite modérée.
- Quelles leçons le PS et vous-même tirez du 28 novembre ? Le PS et les Verts, dont l’électorat est très proche, n’ont pas réussi à mobiliser un électorat supplémentaire ni au premier ni au deuxième tour, par rapport aux précédentes élections, mais une partie de l’électorat socialiste a passé du côté vert. Pour le PS, un renforcement de son engagement pour la justice et la cohésion sociale est à l’ordre du jour.