MEDECINE – Face au manque de donneurs, certains spécialistes ambitionnent de greffer des organes de porc sur des humains. À l’occasion de la Journée mondiale du don d’organes et de la greffe du 17 octobre, Jean Villard, médecin immunologue aux HUG, évoque les barrières auxquelles se heurte la xénogreffe.
Dans la récente série humoristique française La Flamme, Soraya, gardienne de zoo incarnée par Adèle Exarchopoulos a subi une transplantation inédite: son coeur est remplacé par celui d’un singe. L’histoire de ce personnage intrigue et interroge le public. Quel est l’avenir de la xénogreffe, cette pratique qui consiste à greffer l’organe d’un donneur sur un receveur d’une espèce biologique différente?
Certains y voient un vivier illimité de donneurs d’organes, mais la route semble encore longue. Selon, Jean Villard, médecin associé à l’Unité d’immunologie de transplantation des Hôpitaux universitaires genevois (HUG), les partisans de la pratique font face à de nombreux freins.
Différencier les types de greffes
« Il faut d’abord différencier la greffe de tissus conjonctifs d’autres espèces à celle d’organes vivants d’autres espèces », souligne Jean Villard. La première est habituelle et prend souvent la forme de greffes de valves cardiaques en tissus d’animaux traités. Mais ces tissus ne sont pas vivants, contrairement aux organes entiers. La greffe d’organes vivants d’autres espèces est strictement encadrée par une loi fédérale datant de 2007 et reste encore au stade de la recherche.
Aucun humain ne vit actuellement avec l’organe d’un animal d’une autre espèce. Pourtant cette pratique n’est « pas d’une grande complexité » technique lorsqu’elle se pratique sur des organes «de taille à peu près semblables à celles de l’être humains». « Il s’agit de coudre des artères et éventuellement des veines » précise le professeur Jean Villard.
A propos de la xénogreffe : «Techniquement, ça ne va pas être d'une grande complexité, mais ce sont les barrières génétiques et immunologiques qui sont extrêmement difficiles à contourner.»
Jean Villard, médecin associé à l'Unité d'immunologie et de transplantation des HUG.
Des porcs transgéniques passent la barrière
Depuis plusieurs années, les recherches en matière de xénogreffe portent sur les porcs. Leurs organes ont, « d’un point de vue anatomique, une taille apparente à celle de l’être humain », précise Jean Villard. Mais cette ressemblance ne suffit pas à duper notre système immunitaire. « Il est éduqué à reconnaître le soi, donc ne va pas nous attaquer nous-même, par contre il va attaquer tout ce qui nous entoure et qui va nous agresser ».
Ce problème est commun à tous les types de greffes, que ce soit entre deux individus d’une même espèce (allogreffe) ou entre deux individus d’espèces différentes. Selon le professeur, si ce rejet hyperaigu peut être évité grâce à des immunosuppresseurs dans le cas d’une allogreffe, il est beaucoup plus difficile à contourner dans le cas d’une xénogreffe.
L’une des pistes étudiées par les médecins immunologues consiste alors à transformer génétiquement (voir schéma) les porcs dont les organes seront utilisés en éliminant « des propriétés qui leur sont intrinsèques et contre lesquelles nous avons des réactions extrêmement fortes », complète Jean Villard.
Descriptif du processus de transformation génétique des porcs
Copain comme cochon?
Une possible généralisation de cette pratique soulèverait des questions éthiques. La société est-elle d’accord de développer des animaux génétiquement modifiés pour pallier le manque d’organes? Jean Villard se montre plutôt confiant: «On regarde les porcs comme des espèces qui nous aident à nous nourrir. (…)Je pense que beaucoup de sociétés sont prêtes à aller jusque là pour des raisons médicales». De là à démocratiser cette pratique ? Pas si sûr, selon le médecin: « Je doute que je verrai une généralisation de cette pratique de mon vivant. Je pense que plusieurs autres stratégies se développeront ».
Le Parlement fédéral a récemment mis en place l’une des stratégies auxquelles fait référence Jean Villard. En septembre dernier, il a opté pour le consentement présumé du don d’organes. Mais cette révision de la loi bute sur l’opposition d’un comité référendaire déterminé à emmener le débat jusqu’aux urnes.
Par Mathilde Salamin
Montage et schémas: Pixabay, Adobe Stock, Mathilde Salamin
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « écritures informationnelles », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.
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