Faire un million d’écoutes sur une radio britannique et manipuler des sources radioactives aux laboratoires de l’EPFL. Eric Willimann est un musicien physicien. Portrait.
Il est volubile. Répond précisément. Même lorsqu’il s’agit d’approfondir les détails les plus intimes de sa vie. Ça lui arrive de s’égarer sur un autre sujet, mais il revient toujours à bon port : « Je divague, où est-ce qu’on en était ? ». S’est-il préparé soigneusement au reportage ou est-il naturellement éloquent ? L’enregistreur posé sur la table ne l’intimide pas. Et ce n’est pas étonnant. Il a l’habitude des micros devant lui. Sur scène et devant les reporters. Car oui, ce n’est pas la première fois que l’artiste reçoit un journaliste dans son manoir.
L’an passé, il a connu un léger buzz avec son groupe Los Azulejos. À la guitare, il revisite le troisième mouvement de la Sonate au clair de lune de Beethoven, au rythme flamenco. La prestation est reprise sur les réseaux sociaux et accumule un peu plus d’un million de vues. Visiblement ému par l’exploit, Eric Willimann en parle avec humilité. Pendant un bref instant, un sourire discret s’esquisse sur son visage. Cristallisation de sa passion pour le quatrième art. «En ce moment, la musique est l’essentiel de mes activités.» Et cela se voit. Son salon est arboré d’amplis son, de guitares, de cymbales et de partitions. Son nid de créativité.
Lorsque vous rentrez dans son manoir, vous ne doutez pas que l’artiste est, en réalité, un ingénieur diplômé de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) en microtechnique, spécialisé en nanophotonique.
Contraste entre ingénierie et art
Cette dualité entre ingénieur et artiste est le produit des deux parcours professionnels de ses parents. La science dure, il la tient de son père. C’est un professeur retraité de mathématiques, physique et chimie. Sa sensibilité artistique et sa créativité lui viennent de son côté maternel : sa mère est artiste peintre. Si son frère a fait le choix de se consacrer exclusivement au monde artistique en devenant guitariste professionnel, Eric concilie les deux. Pour lui, art et science sont loin d’être incompatibles. D’ailleurs, il en fait son métier.
Grâce à ses études, il passe la plupart de son temps à réparer du matériel audio et des vieux amplis à lampe. « Il n’y a pas tant de spécialistes dans la région. Petit à petit, je me suis fait un réseau de clientèle. » Dans son garage, improvisé en atelier, il y navigue comme un poisson dans l’eau. Le travail manuel le canalise. Une table de ping-pong revisitée en table à manger, un vieux tonneau de ferraille transformé en grill barbecue. Certains objets sont à leur quatrième vie. Il a le sens de la débrouille et sa curiosité n’a que peu de limites.
C’est peut-être pour cette raison qu’il a choisi de suivre des cours sur la physique nucléaire à l’EPFL et à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture (HEPIA) à Genève.
À l’épreuve du nucléaire
Sur le nucléaire, il a quelques anecdotes. Aujourd’hui il en rit, mais pendant longtemps il en a gardé un souvenir amer-doux. Comme cette fois où il est rentré à l’intérieur du réacteur nucléaire destiné à l’enseignement, le CROCUS. Cela faisait plus de six mois que le système n’était pas en marche. Alors que ses camarades de classe (que des garçons) ne tiennent plus sur place à l’idée d’inspecter les entrailles de la bête rare, Eric reste prudent. « La radioactivité, c’est spécial. Tu penses que c’est bon et tu te retrouves brûlé profondément sous la peau. » Il finit par se jeter dans la gueule du loup. Les injonctions à la virilité l’ont-elles poussé à franchir le pas ? Il ne sait pas. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il n’a jamais été très à l’aise pendant ces travaux pratiques.
Alors qu’il évoque ses souvenirs, un rire nerveux gagne sur son sourire. Il vient de penser à une autre anecdote. Et à une seconde. À cette fois où le professeur a oublié du Césium-137 pendant quinze longues minutes, sur son bureau, à deux mètres de lui. Il se souvient aussi de cette expérience où un tube de radon était défectueux et expulsait le gaz dans l’air ambiant de la salle de classe. Pour lui, ce n’était pas un simple cours sur le nucléaire, mais un véritable parcours du combattant. Pourtant, il ne flanche pas. « Le nucléaire est l’énergie la plus fiable. Tu ne peux pas tourner une ville comme Lausanne à coup d’éoliennes. »
La grande question, est-il pronucléaire ? Un personnage aussi nuancé ne peut se contenter d’un oui ou d’un non. Tu n’auras pas de réponse tranchée à cette question. Tout est une question de contexte. Doit-on recourir au nucléaire pour s’en sortir des énergies carbones ? Oui. Doit-on recourir à long terme à l’énergie nucléaire ? Non. Des références sur le sujet ? En voici, en voilà, il est en parfaite maîtrise du sujet. Chez ce personnage, dont la nuance est le maître mot, une seule et unique certitude. « Tant que l’on ne fonce pas dans le mur, il n’y aura pas de changement majeur. »
Par Francisco Carvalho da Costa
Crédits photo © Francisco Carvalho da Costa
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Atelier presse”, dont l’enseignement est dispensé collaboration avec le CFJM, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.