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Evolène, la sérénité dans la montagne

Installés en début d'année 2023, ces nouveaux radars "changent la vie". Photo: Téo Nania

Alors que les Alpes valaisannes sont à fort risque d’avalanche, le petit village d’Evolène se déclare serein. Presque 25 ans après l’avalanche meurtrière de 1999 et un siècle après que le roman de Ramuz a prévenu des dangers dans les contrebas de Sasseneire, le village est conscient du risque, mais pas inquiet pour autant. Reportage.

Après cinq jours de pluie et plus de soixante millimètres de précipitations, le soleil et le calme refont leur apparition sur le village d’Evolène en ce début de matinée. Seuls quelques nuages épars teintent un ciel rayonnant.

La rue principale du village est déserte et silencieuse. Ramuz déjà, dans son roman La grande peur dans la montagne, décrivait la tranquillité dans la vallée environnant Sasseneire: “On n’entendait rien. On avait beau écouter, on n’entendait rien du tout: c’était comme au commencement du monde avant les hommes ou bien comme à la fin du monde, après que les hommes auront été retirés de dessus de la terre”.

Sous le soleil, de rares promeneurs, seuls ou avec leur chien, se baladent et observent les vitrines d’échoppes. Toutes ou presque sont en “fermeture exceptionnelle pour le mois”. Pas grand-chose à se mettre sous la dent pour faire du lèche-vitrines.

Un pragmatisme de rigueur

Malgré le beau temps, la région est à fort risque d’avalanche. Un risque évalué à quatre sur cinq par Météo Suisse. Lors des événements tragiques de 1999, il était évalué au même niveau.

Conception habite Evolène depuis plus de trente ans. Au bas de la paroi rocheuse surplombant le village, la Française de naissance se souvient du “chaos” de 1999: “Je l’ai vécu comme un vrai drame. Le village et les gens étaient meurtris”. Aujourd’hui, l’Evolénarde d’adoption n’y pense plus: “Il faut apprendre à vivre avec la volonté de la nature, mais je ne me sens pas du tout en danger”.

Plus haut sur la route principale, Viviane, 64 ans, tient le kiosque familial. Dans la boutique encombrée de journaux, de magazines et de cartes postales, elle affirme qu’elle ne quitterait son village pour rien au monde. À ses côtés, son amie Yveline se joint à la discussion. Toutes deux se sentent beaucoup plus en sécurité depuis les travaux entrepris suite à la catastrophe, malgré les risques du jour.

Viviane a été marquée par 1999, mais les événements ne l’inquiètent plus: “Ça nous a rappelé qu’on est peu de chose face à la nature”, concède-t-elle. “C’est pas quelque chose à quoi on pense. Si ça doit tomber, ma foi, ça tombera. Entre temps, il n’y a rien à faire”, confie Yveline, pragmatique.

En levant les yeux, la façade rocheuse observe, domine. François Fellay, ingénieur au Service des dangers naturels du canton du Valais (SDANA), s’empare de jumelles pour la scruter. Au milieu de ce calme ronflant, jumelles autour du cou, l’ingénieur pointe du doigt un gros bloc rocailleux. Posé au milieu de cette falaise, rien ne le retient. “On ne sait pas comment il tient, on verra jusqu’à quand”, se questionne l’ingénieur. “Quelque chose est là qui surveille, qui menace, qui va punir”, écrivait Ramuz. Contrairement aux avalanches, il est plus difficile d’être dans le préventif avec les chutes de pierres.

Des technologies qui “changent la vie

Depuis le début de l’année, prévenir les avalanches est, justement, devenu plus facile. Quinze minutes de voiture plus haut dans la montagne, François Fellay se gare au pied d’un haut pylône. Fixés sur le poteau, deux radars ont les yeux rivés sur le flanc opposé. De la montagne de Sasseneire à la pointe du Tsaté, ce sont quatre kilomètres qui sont sous constante surveillance. Plus bas, trois couloirs se dégagent de la paroi. Les lits des torrents de Martémo, des Maures et de la Sage dessinent le chemin de la coulée de 1999.

“Avant, on devait attendre que le temps soit adéquat pour pouvoir aller voir. Maintenant, même au milieu de la nuit, on peut recevoir une alerte qui nous dit que la montagne a bougé”, éclaire l’ingénieur. Au moindre mouvement de la montagne, un signal est envoyé, permettant aux autorités compétentes de prendre les mesures de sécurité nécessaires.

Installées en début d’année, ces mesures de surveillances “changent la vie”, se réjouit François. “Avant, les communes étaient totalement aveugles. Ces radars leurs donnent en quelque sorte la vue”, image-t-il.

Les yeux rivés sur son téléphone, l’ingénieur prend le contrôle de la caméra et observe les trois paravalanches qui coiffent la façade surplombant Evolène. Avant 1999, un seul paravalanche était installé. Depuis, la commune a décidé d’investir en conséquence. “Sur les vingt prochaines années, on parle d’un budget d’un million de franc annuel pour sécuriser la région”, chiffre François. “Malgré tout, cette catastrophe nous aura permis de beaucoup apprendre”.

Un souvenir qui hiberne

Un budget conséquent qui sécurise grandement la région. Si l’avalanche de 1999 est considérée comme un événement centennal, le risque aujourd’hui est plutôt autour d’une fois tous les trois cents ans. Mais François prévient: “On a réduit la probabilité, mais le risque existe toujours.”

En 2018, une autre grande avalanche est partie de Sasseneire. Elle s’est arrêtée juste avant les digues protégeant Evolène. Les routes ont dû être fermées, mais le village n’a connu aucun dégât. “Malgré ce que peuvent dire les gens, j’ai vu une appréhension dans le village. C’était aussi un dimanche soir, il y avait cette peur que le scénario se répète”, se souvient François.

En bas dans la vallée, entourée de la paroi rocheuse, elle-même surplombée par Sasseneire et la pointe du Tsaté, la sérénité est de mise. Depuis deux siècles, les hommes ont pris possession de la nature. Parfois, la nature les rappelle à l’ordre: “La montagne a ses idées à elle, la montagne a ses volontés”, concluait Ramuz.

Par Téo Nania

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Atelier presse”, dont l’enseignement est dispensé collaboration avec le CFJM, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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