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Elle boxe les préjugés

En 2012, la boxe féminine fait son entrée parmi les disciplines des Jeux olympiques. Une médiatisation s’opère et contribue à promouvoir l’accès à ce sport à travers les prouesses de nouvelles championnes qui balaient d’un coup de poing les a priori. À l’instar des athlètes, les gérants de salles de boxe relèvent que les femmes sont de plus en plus nombreuses à enfiler les gants, dans un domaine longtemps réservé aux hommes. Rencontre avec Anaïs Josipovic, jurassienne de 34 ans et entraîneur de Light Contact. À la Jura Fight Academy à Courroux (JU), elle aide les participantes à s’émanciper et leur redonne confiance pour survivre dans une société qui leur laisse peu de place.

Anaïs Josipovic, la présence de femmes dans les cours de boxe semble en augmentation constante. Ça vous surprend ?

Absolument pas. C’est un véritable phénomène qu’on observe depuis les Jeux olympiques de 2012. Les femmes boxeuses ont commencé à faire parler, à être médiatisées. Au niveau de la génération actuelle, il y a aussi la puissance des réseaux sociaux qui contribue à ce constat. On voit des femmes mannequins pratiquer la boxe pour entretenir leur corps. Ces tendances démocratisent la boxe féminine.

Anaïs Josipovic aide les femmes à s’imposer et à avoir confiance en elles. © DR

Pourquoi un tel attrait de la gent féminine pour les salles de combat ? 

Pour résister dans ce monde masculin. Les hommes majoritairement dirigent la planète, leurs salaires sont aussi plus élevés. Maintenant, il y a une émancipation contemporaine de la femme. On a envie de faire comme les hommes. Même si physiquement on a des différences, une femme peut tout à fait boxer contre un homme. Ce sport permet à chacune de nous de dire : je suis une femme, j’ai le droit d’aimer combattre, de me défendre.

La boxe permet à chacune de nous de dire : je suis une femme, j’ai le droit d’aimer combattre, de me défendre.

Anaïs Josipovic

Que percevez-vous chez ces femmes que vous entraînez ?

Je sens que la boxe est leur exutoire. Je devine une sorte d’oppression. Ce sport passe par une approche psychologique. Je vois que des jeunes filles souffrent de la poussée d’hormones à l’adolescence, d’autres se cherchent dans leur vie sexuelle. Certaines femmes ont aussi des vies familiales compliquées.

Concrètement, comment la discipline du Light Contact les aide ?

C’est leur façon à elles de trouver leur place. Je discerne des frustrations, des énervements qu’il faut faire ressortir chez les participantes. Dans un cours de Light Contact, elles apprennent à retenir leurs émotions. Elles se surpassent. Elles doivent avoir une gestion de leur propre corps, de leur mental, et donc de leurs colères. Je sens de la satisfaction en elles à la fin des séances, une plus grande force.

À l’heure de mouvements comme #MeToo ou #balancetonporc, la virilité apparaît comme une qualité à proscrire. Dans l’univers de la boxe, est-ce aussi à bannir ?

La boxe, c’est évoluer dans un sport d’hommes. Je ne me proclame pas féministe car c’est s’enfermer dans une case. Au fil des années, il y a certaines fois où j’avais l’impression que l’homme devait avoir telle place, et finalement ça s’est inversé quand j’ai grandi. La virilité n’est pas à proscrire. Toute est une question de comment chacun gère son rapport à lui-même, aux personnes qui ont le même sexe et aux personnes du sexe opposé. Le souci avec la virilité n’est pas là.

D’après vous, il se trouve où le souci avec la virilité ?

Dans l’association du terme « viril » aux hommes. C’est une dérive possible de violence envers les femmes de catégoriser un mot à un sexe. Les femmes peuvent aussi être viriles. Certaines jouent un rôle d’homme, avec un voix et des agissements masculins et inversement. On voit des hommes de plus en plus efféminés, qui prennent soin d’eux. La virilité, c’est un courage physique et mental. La boxe peut aider à ce que les gens se sentent bien avec une façon de vivre qui leur corresponde. Qu’ils se considèrent virils ou non, et la définition qu’ils accordent à ce mot n’ont pas d’importance finalement.

J’ai vu des filles devenir des championnes et être des femmes sexy.

Anaïs Josipovic

Si je comprends bien, les femmes qui boxent ne cherchent pas forcément à apparaître plus viriles ?

Pas nécessairement non. J’ai rencontré des boxeuses qui étaient très féminines. Il faut casser l’image qu’on a d’une fille qui boxe. Je me suis réconciliée avec ma féminité à travers ce sport parce que j’ai vu des filles devenir des championnes et être des femmes sexy. Dans leurs manières d’être, ce sont des femmes sensuelles, des mamans aimantes. Pourtant, aujourd’hui, la plupart des boxeuses ne montrent pas leurs formes. Moi, je n’en ai absolument rien à faire. Je me sens très à l’aise de combattre en legging par exemple. Si ça dérange quelqu’un, ce n’est pas mon problème.

Les femmes s’octroient ce « permis de cogner ». Est-ce que cela reflète une prise de conscience collective pour amener gentiment la société à se démasculiniser ?

Clairement. Pourtant, je pense que vouloir tout uniformiser n’est pas forcément positif car la beauté du monde, c’est notre diversité. Vouloir lisser tout le monde d’une certaine façon, c’est dommage. On perd en cachet. Après, que les femmes apprennent à se défendre, c’est complètement indispensable.

Une idée à suggérer pour une société un peu plus équilibrée ?

Ce qu’il faut faire maintenant pour avancer, c’est que chacun combatte sa propre personne, plutôt que cette société masculine. La boxe, c’est justement le miroir de la personnalité. À travers ce sport, en se dépassant soi-même, on peut tendre vers un monde plus harmonieux, où chacun se sent bien, sans pour autant bannir la masculinité de la société.

Par Maxime Crevoiserat

Crédit photo: © DR

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Atelier presse”, dont l’enseignement est dispensé collaboration avec le CFJM, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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