Cogner pour oublier, pour se vider, pour être plus fortes, pour survivre… Autant de raisons pour lesquelles des femmes se rendent chaque semaine à la Jura Fight Academy à Courroux. Reportage.
Allures vives. Rythme soutenu. En avant. En arrière. A la Jura Fight Academy de Courroux (JU), les participantes au cours de boxe se suivent en courant. Un rap américain donne de l’ambiance. Chacune lève les bras. Les fait tourner dans un sens. Puis dans un autre. Les mouvements sont effectués avec rigueur et dynamisme. Les muscles commencent à se réveiller. L’échauffement touche à sa fin. Après avoir repris leur respiration et bu un peu d’eau, la vingtaine de participantes se sent désormais prête à attaquer la séance.
Un ring de boxe trône sur le côté gauche. Les élèves, qu’elles soient athlètes expérimentées ou boxeuses amatrices, se tiennent au centre de la salle, alignées face à Anaïs, leur entraîneur. Elles assistent à un cours de Light Contact. Accessible à tous les âges et mélangeant tous les niveaux, cette discipline consiste en une confrontation directe sans recherche de combat réel. Ces femmes viennent ici pour « cogner ». Qui sont-elles réellement ? Pourquoi ce besoin de « cogner » ? Immersion.
« Monte ta garde ! ». « Descends plus les genoux ! ». Une voix ferme résonne à travers les murs de la salle. C’est celle d’Anaïs. D’un air assuré, à l’aube de ses 35 ans, l’entraîneur donne le ton aux participantes. Son aplomb, la jurassienne l’a bâti au fil des années. Sans relâche. A l’âge de 19 ans, la sportive finit par se perdre. Elle divague. Tout comme sa motivation. Elle ne trouve plus sa place dans l’univers des grandes compétitions. Trop de pression. Sa carrière s’arrête. La combative Anaïs n’est plus. Après des années éloignées des combats, elle se réconcilie avec le milieu de la boxe il y a trois ans. Son nouveau challenge ? Offrir une liberté aux femmes grâce au Light Contact.
Anaïs organise, supervise et corrige. « Tends tes jambes », souffle-t-elle à l’une d’entre elles. Elle voit tout. Aider les participantes à s’émanciper et leur donner confiance devient son moteur. Elle voit ces entraînements comme un exutoire pour les femmes. « Certaines jeunes souffrent de leur corps à l’adolescence. D’autres femmes plus mûres accumulent des frustrations qu’il faut faire ressortir », observe la professeure. Et d’ajouter : « Dans un cours de Light Contact, elles apprennent à retenir leurs émotions ». Gestion de son propre corps. Satisfaction. Renaissance. Un vrai parcours du combattant pour ces femmes « courageuses qui lors de chaque séance donnent tout », insiste fièrement Anaïs.
Un tendre sourire. Des bouclettes blondes. Un air candide. Son short et son débardeur plein de sueur, témoin de son effort. Claire se dirige vers le vestiaire. La guerrière redevient une lycéenne lambda. Personne n’imagine ce qui vient de se passer. Une transformation. Dès le « 1 contre 1 » lancé par Anaïs au début de l’entraînement, l’adolescente change de posture. Sa silhouette svelte fait place à une carrure athlétique. « Je passe toutes mes journées au lycée, alors quand je viens ici, j’oublie tout. Je m’évade. C’est un autre monde », s’exclame la jurassienne, adepte du Light Contact depuis bientôt deux ans.
Gants sur les mains et protège-dents dans la bouche. Le visage ferme. Un air sérieux. Elle donne le tempo à son adversaire. Les gestes solides, elle enchaîne coup sur coup. Avec une rage déconcertante, elle frappe. Au visage. A l’épaule. Aucune pitié. Elle esquive les tentatives de touche. Claire se transcende. Les minutes passent. Ses poings deviennent plus durs. Elle domine le duel. L’exercice se termine. Claire se sent bien. « Plus d’ondes négatives. Libérée. Délivrée. La boxe, ça permet d’évacuer les tensions que j’ai en moi, en tant que jeune femme, de les gérer », confie la lycéenne. Un dernier salut à sa concurrente. Claire quitte l’arène, « plus forte », souligne cette dernière.
A l’autre bout de la salle, le regard concentré et les pointes des pieds levées, Carole travaille ses réflexes. Des bandes entourent ses doigts et ses poignets. Des gouttelettes de sueur perlent sur son front : on devine son effort. Elle écoute attentivement les conseils d’Anaïs. La quarantenaire a des gestes hésitants, fébriles. « Tu dois être plus stable », lui suggère Anaïs. Carole accompagne son bras de bas en haut. Bam, uppercut ! Elle atteint sa cible au visage. Elle recommence. Encore et encore. Ses mouvements deviennent plus maîtrisés.
Petit à petit, Carole gagne en assurance. Elle cogne. Elle se libère. « Être dans la retenue pour mieux se dépasser, ça m’aide à accepter mon corps. Un corps qui avec l’âge change », explique Carole. Elle poursuit : « La douceur que j’ai en moi se mute en force agressive mentale durant le cours et ça vide mon esprit des frustrations accumulées ». Le Light Contact, le moyen pour Carole de s’épanouir et de vivre pleinement « sa vie de femme », raconte-elle.
Une odeur de transpiration règne dans la salle. Parfum de dépassement physique et mental. Une fenêtre ouverte aère la pièce. D’intenses respirations se font entendre. Les boxeuses retournent peu à peu à leur quotidien qu’elles avaient quitté le temps de la séance. Chaque semaine, elles se rendent à la Jura Fight Academy. Elles apprennent à « cogner », à donner des coups, et surtout à en encaisser. Ce sont des femmes ordinaires qui se révèlent en vraies « Wonder Woman ».
Cheveux encore dégoulinant pour certaines, des pas rapides pour d’autres. Elles quittent tour à tour la salle. Sans doute pressées de rejoindre leur foyer. Anaïs les salue. « A la semaine prochaine ». C’était la douce voix de Claire. Anaïs s’assure que chaque participante est partie. Elle s’essuie quelques gouttes qui perlent sur son front. A peine le temps de souffler. L’entraîneur est sollicitée pour lancer l’échauffement du cours suivant. « 3, 2,1, c’est parti », hurle Anaïs. Elle redonne le ton pour une nouvelle séance, en puisant son énergie. Une vraie championne.
Par Maxime Crevoiserat
Crédit photo: © Maxime Crevoiserat
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse », dont l’enseignement est dispensé collaboration avec le CFJM, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.