//

Courfaivre: médiatisation d’un féminicide

The Porrentruy Castle in Porrentruy, Canton of Jura, Switzerland, which houses the Court of Appeal and the District Court, pictured on October 18, 2017. (KEYSTONE/Georgios Kefalas) Das Schloss Pruntrut in Pruntrut, Sitz des Kantonsgerichts und des Gerichts erster Instanz, aufgenommen am 18. Oktober 2017. (KEYSTONE/Georgios Kefalas)

Le «drame de Courfaivre», féminicide perpétré en octobre 2019 dans le canton du Jura, a connu une couverture médiatique importante. Entre les premiers articles parus au début de l’enquête en octobre 2019 et les articles datant de novembre 2021, un changement de terminologie prend place. Retour sur un féminicide médiatisé et les mots employés pour le qualifier.

Le 23 novembre 2021, la Chambre pénale des recours du canton du Jura a eu le dernier mot de l’affaire du féminicide de Courfaivre. L’affaire débute deux ans plus tôt, en octobre 2019, alors que Christophe tue sa femme Mélanie avant de se donner la mort. Un acte qualifié de «féminicide» par l’association Mel Courfaivre, fondée par la sœur de la victime.

Que s’est-il passé à Courfaivre?

Ce que les médias ont appelé «le drame de Courfaivre» est le féminicide le plus médiatisé de ces dernières années. Pas moins d’une quarantaine d’articles, sans compter les émissions de radio et télévision, en font état. Pour mieux comprendre cet engouement médiatique, revenons sur le déroulement des faits.

Timeline: SS · Source: Médias suisses romands

Légende des couleurs:

  • Faits liés au féminicide
  • Faits liés à la plainte pour agression sexuelle déposée par Mélanie
  • Faits liés à la plainte pour omission de prêter secours et homicide involontaire déposée par la famille de Mélanie
  • Faits liés aux apparitions dans les médias
  • Faits liés aux marches en hommage à Mélanie

La terminologie fait débat

Les textes législatifs suisses ne comprennent pas le terme de féminicide. Il n’apparaît donc pas dans les documents de police ou judiciaires. Dans les médias, l’utilisation du terme est très prudente. Comme le relève Le Temps, le poids des mots doit être mesuré pour des questions déontologiques. Le terme «féminicide» est pourtant de plus en plus utilisé. Sa première apparition dans la presse date de 2003 dans le 24 Heures, puis de 2004 dans des journaux locaux — notamment dans L’Impartial et L’Express fusionné dans le titre ArcInfo en janvier 2018. Le drame de Courfaivre est, pour sa part, qualifié de «féminicide» une fois les circonstances établies par la justice, c’est-à-dire fin octobre 2019.

Féminicide: Meurtre d’une femme, d’une fille en raison de son sexe.

La première définition du mot «féminicide» en français est donnée par Le Petit Robert, en 2015.

L’association DécadréE, laboratoire d’idées sur l’égalité dans les médias, émet des recommandations à destination des journalistes au sujet de la terminologie à privilégier pour parler des féminicides. Elle recommande d’utiliser les termes «féminicide», «meurtre par le partenaire» ou «l’ex-partenaire» afin de neutraliser la dimension amoureuse ou passionnelle présente dans le terme «drame» et qui sous-entend une circonstance atténuante. L’objectif est d’utiliser un langage qui mette en avant la dimension systémique, politique et structurelle de ces meurtres.

Un traitement médiatique en deux tons

L’affaire de Courfaivre et ses suites politiques ont suscité l’intérêt d’une variété de médias en Suisse romande. Qu’en est-il de la terminologie employée pour la qualifier? Nous avons analysé les termes utilisés dans le titre, le chapeau et le mot-clé des articles traitant du féminicide de Courfaivre entre octobre 2019 et novembre 2021. Sur 36 articles parus dans 9 médias différents c’est le terme «drame» qui apparaît le plus souvent, avec des déclinaisons telles que «drame familial» ou «drame conjugal». Cependant, comme le montre le graphique ci-dessous, le terme «féminicide» a été davantage utilisé à partir de 2020 et notamment en 2021 pour qualifier l’affaire.

Le coup de projecteur médiatique sur le féminicide de Courfaivre est représentatif du traitement plus général des féminicides en Suisse. La terminologie évolue, les articles sortent de plus en plus de la rubrique faits divers.

Collectifs féministes et politiques s'emparent de la question de la visibilisation des féminicides. Leur médiatisation et l'utilisation de termes spécifiques permettant de les inscrire dans un continuum de violences sexistes font partie des pistes avancées pour changer la perception de ces affaires et sauver des vies. Car les statistiques continuent d'augmenter: 26 femmes ont été tuées en 2021 en Suisse. Une soixantaine de personnes se sont réunies mardi 21 décembre 2021 à Genève pour leur rendre hommage.

Par Laura Manent et Sandrine Spycher

Image de couverture: Le château de Porrentruy abrite le Ministère public jurassien et la Chambre pénal des recours du Jura. KEYSTONE/Georgios Kefalas

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours "Publication, édition et valorisation numérique", dans le cadre du master en journalisme de l'Académie du journalisme et des médias (AJM) de l'Université de Neuchâtel.

Derniers articles de Multimédia