Ce féminisme armé qui fait rêver l’Occident

Une combattante du YPJ.(Kurdishstruggle, Flickr).

Chaque rebondissement du conflit syrien relance l’intérêt occidental pour les combattantes kurdes. Les histoires de ces femmes en armes ont beaucoup circulé dans les médias, mais la réalité est toujours complexe, et les risques de simplification réels.

Le drapeau du YPJ (Wikipedia Commons).

Fondées en 2013 et indépendantes depuis 2016, les Unités de protection de la femme (YPJ) sont la brigade exclusivement féminine des forces armées kurdes syriennes, le YPG. Avec un effectif de 10’000 soldates, le YPJ a massivement contribué à la lutte contre Daesh en Syrie et à la mise en place de l’autogestion du Rojava, où les femmes ont joué un rôle majeur. Cette brigade et ses guerrières en uniforme et Kalachnikov ne cessent de fasciner l’Occident, qui s’en est saisi de différentes manières.

« Craignez-nous… »

Parfois, c’est l’Occident qui se rend en Syrie: « Craignez-nous, les femmes, ennemis de l’humanité, parce que ceux qui vont mourir de notre main, bruleront à jamais en enfer ». Cette inscription combative est tatouée, en arabe et en kurde, sur le bras d’une milicienne du YPJ. Mais il ne s’agit pas d’une Kurde. Hanna Bohman, c’est son nom, est une Canadienne qui a rejoint les Unités de protection de la femme il y a trois ans.

Le documentaire « Fear US Women », sorti début novembre, lui est consacré. Pour Bohman, si des volontaires étrangers se battent pour Daesh, il doit aussi y avoir un moyen de lutter contre les djihadistes. Ce qui l’a poussée à partir, c’est notamment le traitement inhumain réservé aux femmes capturées par les miliciens de l’Etat islamique.

Une révolution pour toutes les femmes

Le cas de Bohman est certes extrême, mais il témoigne de la fascination et de l’intérêt que le phénomène des combattantes kurdes suscite en Occident. Elle n’est pas la première étrangère à se rendre en Syrie pour y prendre les armes; l’anglaise Kimmi Taylor a notamment fait la même chose.

Les interviews des combattantes du YPJ qui circulent sur la toile mettent en avant la dimension globale de leur combat. « e-flux », une plateforme s’occupant d’art contemporain, de critique et de culture, a récemment publié une interview. Réalisée fin juillet, elle interroge quatre commandantes du YPJ. L’indépendance de cette brigade féminine est clairement revendiquée. La commandante Dilovan Kobani déclare:

Dans notre cas, nous formions une force indépendante en tant que femmes. Dans le YPJ nous sommes indépendantes. Nous menons notre force armée et notre force politique nous-mêmes. Nous ne menons pas notre révolution à l’ombre des hommes.

Elle ne s’arrête pas là. La lutte contre l’Etat islamique n’est que le début, parce que ces femmes envisagent une libération plus large, à laquelle l’humanité entière est appelée à contribuer:

Se battre pour l’humanité est un grand honneur pour nous. Nous avons commencé cette révolution pour tout le monde, et nous continuerons. Jusqu’à ce que toutes les femmes soient libres, nous continuerons notre combat.

Une sniper du YPJ sur le front de Raqqua en novembre 2016 (wikipedia commons).

Un vrai succès en Occident…

Ces récits féminins ont beaucoup circulé sous nos latitudes. Au-delà des médias généraux, ils ont notamment fait l’objet d’articles sur des sites à orientation féministe ou féminine. L’interview citée ci-dessus a été traduite et diffusée par la page facebook « Kurdistan au féminin ». C’est un exemple parmi d’autres. Le réseau social le plus utilisé du monde pullule de pages soutenant le YPJ, souvent assez suivies (plus de 50,000 likes). L’histoire de Hanna Bohman a été rapportée par le site féministe « Women You Should Know ». Plusieurs sites de gauche ont aussi suivi attentivement ces développements, comme l’australien « Green Left Weekly ».

…pas dépourvu de risques

Tout cela n’a pas échappé à la simplification. En 2014 déjà, soit à peine un an après la création du YPJ, l’activiste kurde (et doctorante à la Cambridge University) Dilar Dirik a souligné la glamourisation de ces femmes par les médias occidentaux. Elles ont parfois fait l’objet d’un regard sexiste et orientaliste de leur part, soulignant plutôt leur aspect physique.

La forte dimension symbolique soulevée par ces femmes en armes risque cependant de glisser vers un stéréotype occidental qui ne colle pas à la réalité. L’image de Rojda Felat, commandante des troupes kurdo-arabes qui a chassé Daesh de Raqqua, a fait le tour du monde après la libération de la ville. Dans un article qui lui est consacré, le Temps se demande:

Cette image répond-elle à un stéréotype que le public occidental aimerait opposer aux hommes barbus de l’Etat islamique?

Ou encore, est-ce que ces combattantes seront tout simplement réduites à des gadgets et des images affichées sur les t-shirts et les posters? Le site à orientation anarchiste « Ni-Dieu-Ni-Maitre.com » semble déjà répondre à cette question. Très engagé, il vend des « t-shirts militants et vêtements éthiques ». On y trouve le visage de miliciennes kurdes imprimé sur les pulls et les shirts composant son catalogue.

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