A Genève, l’entreprise horlogère Swatch Group a été condamnée par le Tribunal des prud’hommes pour avoir licencié deux jeunes mamans, juste après leur congé maternité.
Retourner au travail après un accouchement rime encore trop souvent avec licenciement, à en croire Unia. Lors d’une conférence de presse jeudi, le syndicat annonce la victoire de Gabrielle et Catherine (prénoms d’emprunt) au Tribunal des prud’hommes, contre le Swatch Group les boutiques SA. Congédiées peu de temps après leur retour de congé maternité, elles ont obtenu gain de cause le 29 septembre dernier. Contactée, l’entreprise indique ne pas vouloir faire appel de la décision de justice. Le groupe Swatch versera entre trois et quatre mois de salaire en guise d’indemnités à ses anciennes employées.
D’après les deux avocates Mes Céline Moreau et Valérie Debernardi, ces deux licenciements «survenus à un mois d’intervalle, jour pour jour» sont injustes et discriminatoires. Les deux plaignantes disent avoir été dans une «incompréhension totale». «On a été toutes les deux irréprochables pendant près de quatre ans», déclare Catherine.
«J’ai récupéré un peu de ma dignité»
Gabrielle est engagée par l’entreprise horlogère en 2016. Elle explique avoir vécu une première maternité compliquée. «On m’a diagnostiqué une prééclampsie. Ma vie et celle de mon enfant étaient en danger. Pourtant, j’avais l’impression que mon état n’était pas pris au sérieux.» La jeune maman enchaîne les rendez-vous médicaux jusqu’à son accouchement. «J’ai subi une opération après ma grossesse. J’ai dû me mettre en arrêt maladie, ce qui a rallongé mon congé maternité. A partir de-là, je sentais que mon patron était tendu», confie Gabrielle. En août 2020, elle revient de son congé maternité. Elle se fait licencier quelques jours après.
«C’est un combat et il faut que chaque femme aille jusqu’au bout»
Catherine*
Une humiliation. Voilà comment Gabrielle décrit ce moment où on l’a «virée». «C’était comme dans un film. J’ai dû descendre chercher mes affaires. Tout le monde me regardait comme si j’avais commis une faute grave.» Bien qu’encore ébranlée psychologiquement, Gabrielle maintient vouloir se battre pour les autres femmes: «Avec une victoire comme celle-ci, j’ai récupéré un peu de ma dignité.»
« Vous en voulez un deuxième? »
Un mois après que Gabrielle ait été congédiée, c’est au tour de Catherine. Quelques jours après être revenue de son congé maternité, elle a aussi été licenciée abruptement. Le motif? Elle aurait vendu une montre qui n’aurait pas dû être mise en vente. Dans son communiqué, Unia soutient que, là aussi, il s’agit d’un licenciement discriminatoire. «Le dernier certificat de Catherine indique qu’elle était une collaboratrice très performante. La congédier était disproportionné. Cela en fait un licenciement abusif.»
L’ancienne employée avait déjà vécu une grossesse au sein de l’entreprise horlogère. Au retour de son premier congé maternité, elle dit avoir ressenti une pression de la part de son supérieur: «Vous en voulez un deuxième?» lui avait-il demandé.
Catherine dit ne pas s’être remise de son licenciement: «C’est encore très difficile, mais j’ai décidé de parler pour que cela ne se reproduise plus. C’est un combat et il faut que chaque femme aille jusqu’au bout.»
Swatch affirme que ces deux licenciements n’ont pas été prononcés en lien avec les grossesses. D’après l’entreprise, «l’une des personnes a été licenciée en raison de très nombreuses absences avant la grossesse. L’autre a enfreint des instructions de travail claires peu après son retour de congé maternité».
Une réalité invisibilisée
En Suisse, une femme sur dix perd son emploi au retour de son congé maternité, bien qu’elle souhaitait retravailler. C’est ce que démontre une étude publiée en 2018 par le Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale (BASS). Pourtant, seules seize jurisprudences sont recensées pour discrimination liée au congé maternité depuis 2008. A six reprises uniquement, le licenciement a été reconnu comme abusif. Raison de plus pour souligner l’importance des cas de Gabrielle et de Catherine, affirme Me Moreau. «Il y a énormément de cas, mais peu de décisions de justice. Celle-ci pourrait faire jurisprudence!»
Au niveau politique, Unia compte bien combattre ce genre de discriminations: «Lors de la négociation de la prochaine CCT de l’horlogerie, nous allons amener ces cas, qui sont exceptionnels, car ces femmes ont été jusqu’au bout», affirme le secrétaire syndical Alejo Patiño. Avant de poursuivre: «En cas de licenciement abusif, nous souhaitons qu’elles aient le choix de réintégrer l’entreprise ou d’obtenir l’équivalent de deux ans d’indemnité de salaire.»
Par Eva Lombardo, publié au Courrier le 20 octobre 2022
Crédit photos : Keystone ATS