Dimanche 9 octobre, quatre comédiens dits « de la relève » se sont produits sur les planches du Festival de théâtre de Fribourg. Une chance, pour les jeunes artistes tout juste sortis de leur formation. Mais la récompense est-elle à la hauteur de l’investissement requis pour la création d’une pièce ?
Une place dans la programmation et un montant de 2’000 francs, voilà ce qu’ont reçu les comédiens primés au Festival de théâtre Friscènes le dimanche 9 octobre. Ils sont quatre, pour deux spectacles récompensés : d’un côté La révérence, d’Emeric Cheseaux, de l’autre Playlist, avec Jérémie Nicolet, Aline Bonvin et Philippe Annoni. Le premier parle de nos racines familiales, le deuxième de notre lien à la musique, deux spectacles d’artistes émergents que Friscènes a souhaité soutenir. Mais les trois comédiens de Playlist, contrairement à Emeric et son seul en scène, devront se partager la somme dûment acquise. Celle-ci est-elle à la hauteur du temps et de l’énergie investie dans la création?
Un montant sous la moyenne
Parmi les artistes interrogés, la réponse est unanime : 2’000 francs, ça ne correspond pas aux heures de travail effectuées. « Pour trois personnes, ça ne représente que quatre jours de travail chacun », précise Philippe Annoni. Or, Playlist a demandé plus que quatre jours de création, sans compter le temps de représentation sur scène.
Si on se fie à l’Office fédérale de la statistique (OFS), en 2018 le salaire mensuel médian dans les arts du spectacle s’élevait à 6’500 francs (environ 1’620 francs par semaine), mais la statistique concerne tout le domaine et pas uniquement les comédiens. De plus, l’OFS avertit ne pas prendre en compte les salaires des indépendants. A Zürich, par exemple, le Lohnbuch 2021 révèle plutôt un salaire mensuel moyen de 5’000 francs pour les comédiens (environ 1’250 francs par semaine). Le Syndicat Suisse Romand du spectacle, lui, recommande un salaire mensuel minimum de 4’500 francs (1’125 francs par semaine) pour les artistes débutants, souvent respecté dans les programmations de salles officielles, mais difficile à atteindre ailleurs.
2’000 francs, ça ne correspond pas au temps que j’ai investi.
Emeric Cheseaux, diplômé de La Manufacture
Dans les faits, c’est plus compliqué : Friscènes est conscient de la précarité du métier, mais il s’agit d’un festival entièrement bénévole. Le budget en est donc tributaire : « Même si c’est un peu en dessous, on essaie de rémunérer le plus justement possible », explique Lucien Hürlimann, co-programmateur des pièces professionnelles. Le montant reste le même, qu’il s’agisse d’une pièce ayant déjà été jouée ou d’une création réalisée pour le festival.
Deux pièces soutenues, c’est d’ailleurs une exception : l’année dernière, il n’y en avait qu’une. « Pour l’année prochaine, la question se pose déjà, on n’est pas sûr qu’on aura assez d’argent », déplore Manon Monnier, co-programmatrice. Pour elle, soutenir la relève est nécessaire, mais en veillant à proposer un montant décent. Si les fonds ne sont pas suffisants, il se pourrait que les programmateurs choisissent de ne pas soutenir plus d’une pièce. Ainsi, même s’il existe des salaires minimum recommandés, la réalité est parfois plus complexe :
Les comédiens connaissent ces contraintes et travaillent avec : « Faire un festival, c’est une bonne opportunité pour plein de choses », explique Aline Bonvin, pour qui les avantages ne manquent pas. « Ils nous paient pour la fois où on joue. Ce n’est pas à eux de payer tout notre temps de création. » Elle mentionne ainsi les aides de financement que peuvent demander les comédiens au canton, mais ces aides ne sont pas toujours disponibles et représentent un poids organisationnel supplémentaire. Ainsi, Aline regrette surtout que le travail administratif soit rarement pris en compte dans la charge assumée par les comédiens :
Jouer et rencontrer
En somme, l’enjeu du festival est ailleurs, car comme le précise Emeric, « c’est déjà un immense avantage de pouvoir jouer ». En effet, ce ne sont pas tous les comédiens sortis d’école qui ont l’occasion de se produire sur scène. Le festival agit comme une plateforme de diffusion, une vitrine où montrer un premier travail. C’est un terrain d’expérimentation et de rencontres, une occasion pour les jeunes d’entrer dans le réseau et de se confronter à un regard professionnel expérimenté.
La question financière n’est qu’une des pièces du puzzle. Participer à un festival est un pari à faire : les recommandations salariales ne pouvant pas toujours être respectées, c’est aux comédiens de jauger les bénéfices d’un projet. Parfois, il vaut mieux tenter que ne pas jouer du tout. La précarité ne disparaît pas pour autant : le Prix de la relève vient donc apporter sa petite pierre à l’édifice. Car être primé à Friscènes, c’est déjà entrer dans le système et investir pour les projets futurs.
Par Amélie Gyger
Photo mise en avant : Andreas Eggler pour Friscènes.
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “écritures informationnelles”, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.