Le 15 août dernier, les talibans prenaient Kaboul et, avec eux, les espoirs d’une presse afghane en quête de liberté. Huit mois plus tard, le constat est sans appel. Censure, menaces et agressions rythment le quotidien de journalistes, pour la plupart contraints de fuir le pays dans le but de continuer à informer la population afghane.
Attentats, bombardements et scènes de guerre ont fait partie intégrante du quotidien de Bilal Sarwary durant 20 ans. Ce journaliste indépendant reste pourtant, encore aujourd’hui, un grand amoureux de l’Afghanistan, son pays d’origine. Un pays qu’il a dû fuir, comme nombre de ses collègues, après la prise de pouvoir des talibans en août dernier.
« Des campagnes d’assassinats de journalistes sont mises en place par le gouvernement. »
Bilal Sarwary, journaliste indépendant
Aujourd’hui, la couverture de l’actualité afghane par des journalistes locaux et présents sur place lui semble impossible. « Des campagnes d’assassinats de journalistes sont mises en place par le gouvernement. La censure est totale. » Bilal Sarwany n’en désespère pas pour autant.
« Ne nous abandonnez pas, s’il vous plait ! »
Si la répression de journalistes afghans bat son plein, le nouveau gouvernement taliban doit cependant ménager ses relations extérieures. Pas question donc de mettre en péril de délicates négociations avec la communauté internationale en entravant le travail de correspondants étrangers.
« Ne nous abandonnez pas, s’il vous plait ! Nos collègues occidentaux peuvent encore demander des comptes aux talibans. », insiste Bilal Sarwany. Les journalistes étrangers en Afghanistan sont la dernière garantie d’une information libre et prise sur le terrain.
Un appel lancé à ses confrères et consœurs mais également aux dirigeants des pays occidentaux. Jusqu’à maintenant, le gouvernement afghan a pu limiter l’accès à la culture à sa population. Le manque de réactions des puissances occidentales peut le pousser à aller plus loin, selon Bilal Sarwany. Si l’on en vient à interdire la présence de correspondants étrangers sur le territoire afghan, alors l’information de terrain sera perdue.
Lutter par le biais des réseaux sociaux et d’Internet
Elyas Nawandish est rédacteur en chef d’Etilaatroz, un pure player d’investigation afghan. Lui aussi a pris la fuite après avoir été menacé par des militaires talibans. C’est donc par le biais d’internet qu’il lutte, à distance, contre la désinformation dans son pays. Mais encore une fois, les largesses occidentales envers le gouvernement taliban l’inquiètent.
« En Afghanistan un journaliste a deux options : collaborer avec les talibans ou quitter le pays. »
lyas Nawandish, rédacteur en chef, Etilaatroz
Sa principale inquiétude réside dans la limitation de l’utilisation d’internet par les dirigeants du pays. Pire encore, selon ce dernier, le gouvernement afghan serait actuellement en discussion pour purement et simplement interdire internet sur l’ensemble du territoire. « En Afghanistan un journaliste a deux options : collaborer avec les talibans ou quitter le pays. », affirme-t-il. Sans les réseaux et les médias sociaux, la couverture de l’Afghanistan par des natifs semble donc impossible.
Le jeune journaliste prépare cependant déjà la contre-offensive. « Pour l’instant, les talibans n’ont pas les moyens, ni les connaissances pour bloquer les applications et les sites internet. S’ils sont un jour en mesure d’agir sur les plateformes en ligne, il faudra trouver de nouveaux moyens de faire parvenir de l’information en Aghanistan. Nous y réfléchissons déjà. »
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Quelques chiffres sur le journalisme en Afghanistan :
Basé sur une enquête de Reporters sans frontières (RSF) et de l’Association des journalistes indépendants d’Afghanistan (AJIA)
43% des médias afghans ont disparu entre le 15 août et le 8 décembre 2021
231 médias afghans avaient donc disparu à la date du 8 décembre
84% des femmes journalistes en Afghanistan ont perdu leur travail dans cette même période
15 des 34 provinces afghanes ne comptent plus aucun femmes journalistes en leur sein
122 c’est la position de l’Afghanistan au Classement mondial de la liberté de la presse 2021 sur un total de 180 pays comptabilisés.
Crédits photo : KEYSTONE
Par Samuel Bonvin
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Production de formats journalistiques innovants », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.