Menaces de mort, intimidation et une vie rythmée par les risques. Les lanceurs d’alerte mènent une existence décalée de celle du commun des mortels. Il appartient journalistes à qui ils confient leurs secrets de les mettre en sécurité.
Vu de l’extérieur, Jóhannes Stefánsson a tout d’un homme ordinaire: costume bien taillé, cheveux poivre et sel brossés et un regard chaleureux. Impossible de deviner que son corps le fait souffrir à longueur de journée, que ses muscles brûlent et que son régime alimentaire est spécial. Il est soumis à un lourd traitement médical, financé en partie par des organisations non-gouvernementales. La faute aux empoisonnements aux agents neurotoxiques dont il a été victime entre 2016 et 2017.
Son tort? Avoir dénoncé les crimes de Samherji, la plus grande entreprise de pêche en Islande et géant sur le marché mondial, pour laquelle il travaillait en Namibie. L’affaire a été révélée par Al-Jazeera en collaboration avec WikiLeaks sous le nom de «Fishrot» (NDLR: poisson pourri en anglais). Depuis, Jóhannes Stefánsson vit le quotidien de ce qu’on appelle un lanceur d’alerte (voir encadré).
Dans les affaires de corruption, les données provenant de l’intérieur des organisations concernées représentent une matière première précieuse pour les journalistes. Ces derniers portent une énorme responsabilité par rapport aux documents transmis et à la source. Il est alors primordial d’assurer une protection, pas seulement sur le temps de l’enquête et lorsque l’affaire éclate, mais sur le long terme. Il existe au moins 5 outils à mettre en place afin d’assurer la sécurité d’un lanceur d’alerte.
1. Une communication sécurisée
Tous les contacts entre le journaliste et la source doivent être hautement confidentiels, autrement des risques directs sont encourus inutilement. Les téléphones jetables, les lignes sécurisées, les VPN ou la conservation de l’anonymat constituent des stratégies indispensables.
2. Soigner l’approche et servir de guide
Jóhannes Stefánsson s’est senti soulagé d’avoir été accompagné correctement par les journalistes. Tous n’ont pas cette chance: les médias inspirant peu confiance découragent les potentielles sources.
3. Avoir le budget nécessaire
Le suivi dure généralement plusieurs années. Il est donc nécessaire de prévoir un budget dédié aux lanceurs d’alerte, l’enquête pouvant se révéler onéreuse. Selon Phil Rees, directeur de la cellule d’enquête d’Al-Jazeera qui s’est occupée de Fishrot, ne pas prendre en compte cet aspect reviendrait à «manquer à son devoir de journaliste.»
4. Aide psychologique
Jóhannes Stefánsson a eu recours à un suivi psychologique à la suite des empoisonnements «pour être sûr de continuer à fonctionner rationnellement.» La cellule d’investigation d’Al-Jazeera n’a pas pu lui donner de contact sur ce point, mais «travaille dessus avec acharnement», assure Phil Rees. Les traumatismes propres aux lanceurs d’alerte nécessiteraient un champ spécifique en psychologie.
5. Assurer un environnement sécurisé
Finalement, il est important d’assurer un lieu de vie viable et exempt de danger. Les journalistes peuvent les envoyer dans des safe houses, ou maisons sécurisées.
Un jeu qui en vaut la chandelle ?
Malgré les douleurs et les menaces constantes, Jóhannes Stefánsson ne regrette rien. «Je le fais pour changer le monde pour le mieux. Rester silencieux aurait été injuste, injuste pour les Namibiens. Je devais informer le public de ce qu’il se passait.» Pour Phil Rees, le journalisme d’investigation est la seule manière de faire bouger les institutions et combattre la corruption.
Le Conseil de l’Europe définit les lanceurs d’alerte comme «L’alerte concerne la révélation d’informations sur des activités qui constituent une menace ou un préjudice pour l’intérêt général. Les personnes lancent une alerte car elles considèrent qu’il doit être mis fin à ces activités ou que des mesures palliatives doivent être prises. Souvent il s’agit simplement d’informer les employeurs des agissements irréguliers dont ils ignorent l’existence et qu’ils s’empressent de corriger. Dans d’autres cas, les lanceurs d’alertes peuvent estimer nécessaire de contacter les organes réglementaires ou de contrôle, ou les autorités de répression compétentes».
Ils leur arrivent d’être pointés du doigt comme étant des traitres par les gouvernements. Ainsi, Edward Snowden (affaire de la NSA) et Julian Assange (WikiLeaks) sont déclarés comme personnes non-gratta par les États-Unis. Au Portugal, Rui Pinto (Football Leaks) est dans l’attente de son jugement.
Par Jessica Monteiro
Crédits photo: Al-Jazeera Investigative Unit
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Production de formats journalistiques innovants », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.