Le Handicap, une réalité sous-représentée

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Chaise roulante laissée sur une plage.

C’est une part de la société avec laquelle le tout venant a encore beaucoup de mal à s’adapter. En 2019, le CSA, l’autorité française de régulation de l’audiovisuel, annonce ce constat: les personnes avec handicap ne représentent que 0,7% des individus montrés à la télévision. Difficile dans ces conditions d’apprendre à bien dépeindre cette population.

Lorsque l’on évoque ou montre les « invalides », deux tendances semblent particulièrement tenaces: soit nous les glorifions pour leur courage quotidien, soit nous les prenons en pitié, par pur réflexe d’identification.

« A chaque fois qu’on nous entend parler dans les médias, c’est pour nos exploits et notre pugnacité. Quid, alors, de nos démons, de notre rugosité, de notre réalité, de nos avis divergents, de notre bêtise, bref, de notre vie normale? »

Malick Reinhard, journaliste pour Blick, tient depuis le 30 mai 2021 une chronique intitulée “Jamais mieux servi que par soi-même“ dans laquelle il déconstruit les clichés sur le handicap. Atteint d’amyotrophie musculaire spinale, une maladie héréditaire qui affaiblit et atrophie les muscles, il est déclaré très tôt comme « inapte à être rentable » par l’Assurance invalidité. Ce qui ne l’empêche pas de commencer sa carrière journalistique à 13 ans seulement en co-fondant la webradio associative Check Hits.

Si vous avez déjà lu ses articles, vous avez peut-être remarqué que ce qui change la donne, c’est la façon de nommer les choses. D’ailleurs, le jeune homme 23 ans aime se définir comme une personne « valide en fauteuil roulant ».

Lire les chroniques de Malick Reinhard

Héros ou victimes

Pourtant, tous n’ont pas la même philosophie. Attardons-nous un instant sur les images des webdocs du Téléthon français de 2021. Cette année-là, la star s’appelle Jules, petit garçon de cinq ans atteint d’une myopathie myotibulaire, maladie caractérisée par une importante faiblesse musculaire et une détresse respiratoire. Dans une vidéo qui lui est consacrée, on le voit jouer avec un bateau pirate Playmobil®, se promener en forêt grâce à un fauteuil roulant électrique et chevaucher un poney. Tout cela pendant que ses parents racontent les circonstances de sa naissance, son traitement médical et leur quotidien de parents. Arrivé au terme de la vidéo, on en sait sur sa maladie, mais presque rien sur Jules, sur le petit garçon qu’il est. Le reportage ne lui donne jamais la parole, alors que l’enfant sait parler.

Lorsqu’il arrive sur le plateau de France 2, même traitement. Tout le monde l’acclame, tout le monde s’émeut pour son courage et les progrès de la science. “Regardez ce petit garçon! Quelle émotion!“, proclame l’animatrice Sophie Davant en se tournant vers la caméra.

Passe-leur le micro!

Comment échapper à cette image d’Epinal qui colle à la peau des personnes avec handicap? Interviewé par France Culture Vincent Lochmann, rédacteur en chef de Vivre FM, décrit une condescendance générale qui régit encore la vie des personnes avec handicap. A force des les enfermer dans un cadre de charité et de souffrance quotidienne, le risque est de dessiner une image toute convenue, pour elles comme pour les personnes dites « valides ». Ainsi, que se passe-t-il lorsqu’une personne qui se déplace en chaise roulante se présente pour un emploi? L’inclusion peut-elle vraiment se faire lorsque les médias véhiculent des messages ne présentant pas une population comme des citoyens, mais comme des invalides dont il faut s’occuper?

Zahra Salah Uddin fait partie de l’équipe centrale de Unbias the News, un média qui relate les obstacles structurels des journalistes sur le terrain. A la suite d’une conférence sur la diversité et la qualité des représentations des communautés sous-représentées, la journaliste s’exprime sur l’inclusion des personnes avec handicap dans les médias. A ses yeux, de grands progrès sont à faire au sein des rédactions.

Interview de Zahra Salah Uddin – Crédit © Dimitri Faravel

Laisser libre d’informer

Si l’on regarde le parcours de Malick Reinhard, comme celui d’autres journalistes avec handicap, il semble nécessaire d’offrir à ces personnes un plus large champ d’expression . Qu’ils et elles puissent parler, interroger, filmer, raconter cette réalité qui est la leur. Mais pour les journalistes dits « valides », comment faire? Peut-être que l’une des réponses à nos questions se trouve chez un cinéaste hollandais.

Entre 1964 et 1966, Johann van der Keuken réalise L’Enfant Aveugle 1 & 2, films documentaires construits autour du quotidien d’enfants et adolescents handicapés visuels. Ici, aucune voix-off, aucun journaliste tentant d’expliquer à quoi ressemble la vie de ces jeunes individus. Ce sont eux, à travers leurs gestes, leurs projets, leur parole qui nous font comprendre et ressentir la relation qui les relie au reste du monde, aux gens « normaux ». C’est cette liberté accordée à ces jeunes personnes et la façon sans détour avec laquelle le cinéaste les représente qui fait de l’Enfant Aveugle, une oeuvre dont les médias ont peut-être beaucoup à apprendre.

L’enfant aveugle 2, 1966, 29′, Herman Slobbe reproduit le son d’une course automobile avec son micro.

par Dimitri Faravel

Crédit Photographique: Pexels, Vimeo

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Production de formats journalistiques innovants », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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