Il a fallu attendre la toute fin de la session ordinaire du Conseil des droits de l’Homme pour voir adoptée la résolution sur les manifestations pacifistes. Celle-ci avait été déposée par la Suisse, la Turquie et le Costa Rica et a finalement été acceptée vendredi 28 mars après un vote (31 voix pour, 9 contre et 7 abstentions). Une situation inhabituelle puisque les années précédentes, les résolutions sur ce thème sont toutes passées par consensus du Conseil.
«À l’origine de ce projet, il y a les printemps arabes, et le rôle des manifestations dans l’exercice et le développement démocratique», explique Barbara Fontana, premier secrétaire de la mission permanente Suisse à l’ONU. La résolution engage en effet les pays à garantir la protection des droits humains lors de manifestations pacifiques. «Le droit de manifester va au-delà de la liberté d’assemblée, renchérit Florian Irminger, de Human Rights House Fondation (HRHF) : la résolution souligne l’aspect plus fort politique d’une manifestation face à une assemblée.»
Alors que l’on s’approche de la présentation de la résolution devant l’assemblée du Conseil, des lignes de fractures apparaissent en son sein. L’Afrique du Sud, soutenue notamment par la Russie, l’Algérie et le Venezuela, dépose cinq amendements limitant la portée du texte original. Ceux-ci demandent notamment à ce que le droit à manifester puisse être limité s’il constitue une menace pour la sécurité nationale, et que soit reconnu une responsabilité aux organisateurs de manifestation et à l’Etat en matière de sécurité.
« Il est important que les autorités reconnaissent leur responsabilité dans la protection des manifestants »
Inacceptable pour de nombreuses ONG, dont HRHF et International Service for Human Rights (ISHR), qui ont protesté dans une lettre ouverte aux membres du Conseil. «Les amendements font reposer les responsabilités sur les manifestants, mais c’est aux Etats d’éviter la violence en premier lieu. Il est important que les autorités reconnaissent leur responsabilité dans la protection des manifestants.», soutient Florian Irminger.
«Mandela se retournerait dans sa tombe!»
La surprise est également venue de l’auteur de ces amendements, comme le confirme Michael Ineichen, coordinateur au Conseil de ISHR : «Nous sommes déçus que l’Afrique du Sud ait proposé ces amendement qui ne sont pas conformes à la position du pays. L’Afrique du Sud a une grande tradition de manifestations qui ont mené à la fin de l’apartheid et qui est très importante pour la société civile sud-africaine.» Une surprise partagée par Barbara Fontana : «Nous ne nous y attendions pas vraiment. L’Afrique du Sud a une société civile active et une culture de la manifestation.» Florian Irminger l’affirme : «Mandela se retournerait dans sa tombe !» Si ces positions surprennent, elles s’expliquent également par la volonté du pays, affichée durant toute la session, de prendre la tête du groupe des Etats africains, quitte à passer des alliances tactiques avec des pays moins regardants sur les droits de l’Homme.
Les initiants de la résolution eux-mêmes peuvent soutenir des positions qui apparaissent paradoxales. Parmi eux, la Turquie connaît depuis l’année dernière des manifestations parfois violemment réprimées et se montre offensive dans sa censure des réseaux sociaux, avec des blocages sur Internet depuis quelques semaines. «C’est tout le paradoxe de l’ONU», sourit Florian Irminger, «ll y a deux ans, la Suisse aussi était inconfortable avec son propre texte sur le sujet, alors que Genève venait d’adopter la loi anti-manifestations (qui prévoyait des sanctions pénales pour les organisateurs en cas de débordement, ndlr.) Aujourd’hui, ce sont les positions intérieures et extérieures de la Turquie qui paraissent schizophréniques.» Une position nuancée par Barbara Fontana : «Il y a des défis, mais aussi un vrai contrôle constitutionnel dans le pays. Leur participation à cette résolution montre également l’importance que ce thème a pour eux.»
Consensus difficile à atteindre
Vendredi matin, après un premier report de vote, Barbara Fontana espérait encore que des négociations avec les pays soutenant les amendements aboutissent : «Nous discutons toujours, mais nous espérons que nous pourrons passer avec un consensus.» Il faudra finalement attendre la fin de l’après-midi, une discussion soutenue et un vote, pour adopter une version modifiée du texte, sans que les amendements n’aient été retirés. Il seront finalement rejetés un par un, parfois avec des résultats très serrés. «Nous n’avons jamais eu autant de problèmes sur cette résolution», souffle la diplomate.
«Cette perspective fait peur à des Etats comme l’Arabie Saoudite ou la Biélorussie, où le droit à manifester n’existe pour ainsi dire pas»
De toutes les résolutions sur le droit à manifester, celle-ci a été la plus dure à faire passer. «Plusieurs raisons à ces difficultés», explique Michael Ineichen. La composition du Conseil, d’abord : «Le retour de l’Arabie Saoudite, Cuba, la Chine et la Russie au Conseil a permis l’émergence d’un ‘like-minded group’ qui soutient des positions restrictives. Ces amendements en sont un exemple.» Les conséquences tangibles de celle-ci ensuite : «Cette résolution prévoit qu’un rapport spécial contenant des propositions et des recommandations concrètes soit présenté dans deux ans. Cette perspective fait peur à des Etats comme l’Arabie Saoudite ou la Biélorussie, où le droit à manifester n’existe pour ainsi dire pas.»