La nuit, synergie entre l’homme et la machine à La Poste

Dans le centre de Daillens, des plateaux de tri automatisés basculent pour faire glisser les colis. (Photo: Toan Izaguirre)

Dans la campagne vaudoise, coincé entre les voies de chemin de fer et un cours d’eau, se trouve le centre de tri des colis de Daillens. Depuis 25 ans, ce site stratégique, l’un des trois centres en Suisse, assure chaque jour le transit de près de 180’000 colis. En pleine nuit, immersion dans cet espace bouillonnant, alors qu’il se prépare à affronter l’afflux de colis du Black Friday et de Noël.

Il est 18 h 30, et une brume épaisse enveloppe le centre de tri de Daillens en cette soirée d’automne. Sur le parking, où s’alignent près de 150 voitures, les employés du service de jour croisent ceux de la nuit. Quelques échanges rapides: la relève pénètre le bâtiment. Lorsqu’on franchit les portes, le contraste est saisissant. Au silence nocturne du Gros-de-Vaud succède un vacarme incessant. Le claquement sec des convoyeurs, le bourdonnement continu des machines et les échos métalliques emplissent l’espace. 

Pierre Albertelli, le directeur du centre, nous accueille et nous guide jusqu’aux bureaux –plus calmes. «Je vous laisse avec mon collègue ce soir, lance-t-il, car une équipe de Zurich est venue faire des essais machines.» Le centre est en permanence scruté par des techniciens, la moindre panne pourrait mettre à mal toute la chaîne logistique. C’est donc Alexandre Rolle, responsable d’équipe, suppléant du responsable d’exploitation, qui sera notre guide. Après nous avoir fait enfiler un gilet fluo de sécurité, il nous emmène sur une galerie surplombant l’immense hall de 21’000 m², offrant une vue imprenable sur les différentes étapes du tri.

Du terminal au tri: une mécanique bien rodée

Le processus commence au terminal. La marchandise arrive à Daillens aussi bien par train que par camions. Une immense grue décharge les wagons. Lorsque nous atteignons la zone de déchargement, un camion arrive de Vérone, en Italie, avec une vingtaine de palettes issues de l’un des entrepôts de Zalando. 

Les paquets du géant de l’e-commerce sont déposés à la main sur un tapis roulant par un collaborateur. Ensuite, ils passent sous une arche équipée d’un scanner, le code-barres est lu par la machine. Dans le même temps, l’envoi est pesé, mesuré et photographié. Ces données permettent à la machine centrale d’aiguiller les colis vers la bonne destination.

Quand un colis arrive, une machine le scanne, le pèse, le mesure et le photographie. (Photo: Toan Izaguirre)

Les paquets sont acheminés à une vitesse de 2 mètres par seconde, sur un réseau de tapis roulants qui s’étend sur près de 5 kilomètres. Ils rejoignent par la suite des plateaux de tri automatisés. Ces derniers basculent à un moment précis, laissant tomber chaque colis dans une glissière correspondant au code postal du lieu de distribution. Vers 22 h, certains envois destinés à d’autres régions de Suisse sont chargés dans des semi-remorques, en direction de Härkingen ou Cadenazzo, où ils seront triés une seconde fois au cours de la nuit.

Des colis toujours plus nombreux

La pandémie de Covid-19 a fortement augmenté le volume de colis traités par La Poste. Bien que la frénésie soit retombée depuis, l’année 2023 affiche tout de même une hausse de 24 % par rapport à 2019. «Ces jours-ci, on est à 5-6 % de colis en moins par rapport à la même période sur d’autres années», explique Alexandre Rolle. Au vu de la situation économique du pays, «on sent aussi que les gens sont plus dans la retenue», ajoute-t-il en guise d’analyse. La météo a également un impact sur le volume de travail, observe-t-il en souriant. «Si les gens sont casaniers, parce que le week-end, il fait moche, alors le nombre de colis augmente la semaine qui suit.»

Sous l’œil attentif d’Alexandre Rolle, les colis sont acheminés et propulsés sur les plateaux de tri automatisés. (Photo: Toan Izaguirre)

Dans l’entrepôt, des logos reconnaissables de loin, Zalando, Amazon ou encore Zara. Sur les bandes, de nombreux colis –emballés dans du plastique blanc– défilent: «ce genre de colis, c’est typiquement Temu», glisse l’employé. Il saisit un des colis: «là-dedans, il y a de tout et n’importe quoi.» Preuve du succès de l’entreprise chinoise, depuis un an et demi, ces colis prennent une place considérable dans les camions de l’ex-régie fédérale.

L’équation gagnante: homme-machine

Le nombre d’employés reste étonnamment réduit. Ils se déplacent dans cet immense labyrinthe composé de machines, un environnement pourtant loin d’être austère ou impersonnel. L’ambiance est plutôt conviviale. Entre deux tâches, on surprend des échanges légers et des sourires qui trahissent une bonne humeur palpable. Les employés se concentrent sur des tâches que les machines ne peuvent pas accomplir, une situation qui n’est pas près de changer, «ça sera toujours difficile de se passer de la main humaine pour le tri des colis», reconnaît le responsable. Chacun a un rôle bien défini dans cette chaîne parfaitement organisée. Même durant les pics d’activité, «on emploie quelques temporaires, et on monte à 110-115 personnes, ça ne sert à rien d’être plus» précise-t-il.

«Ça sera toujours difficile de se passer de la main humaine pour le tri des colis»
– Alexandre Rolle, responsable d’exploitation de nuit

Façon Tetris, un employé charge les colis dans un camion à destination de Cadenazzo. (Photo: Toan Izaguirre)
À la fin du processus de tri, les colis sont chargés dans des conteneurs métalliques appelés «RX», avant de prendre la route vers les centres de distribution. (Photo: Toan Izaguirre)

Mais parfois, «la technologie à ses limites: des colis ne parviennent pas à être lus par les scanners. Ainsi, une employée comme Andrea travaille au codage manuel», explique le responsable. Une partie du codage se fait sur le site de Daillens et une partie du codage des envois se fait à distance.

«Chaque nuit, entre 3’500 et 4’000 colis nécessitent un traitement manuel», précise-t-il. Interrogé sur la pénibilité de cette activité, le responsable botte en touche: «Je prône la polyvalence. Je souhaite que les collaborateurs varient les postes de travail. Dans l’idéal, chaque employé passe au maximum 1h30 sur une tâche.» Alexandre Rolle et la centaine d’employés continuent à s’affairer durant la nuit, jusqu’à 3h du matin, pour permettre aux colis d’être distribués le lendemain.

Par Toan Izaguirre
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse I », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.


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