Le risque de blessure est six fois plus élevé chez les joueuses de football que chez leurs collègues masculins. Servette Chênois n’échappe pas à ce phénomène. L’experte Hélène Maystre donne quelques pistes d’explications et d’amélioration.
Stade de la Fontenette. Les Servettiennes sont en plein entraînement. Tandis que ses coéquipières enchaînent les exercices avec le ballon, Malena Oritz doit se contenter de faire des tours de pelouse. La milieu de terrain n’est pas punie. L’Espagnole fait tout juste son retour dans le groupe grenat. Victime d’une rupture d’un ligament croisé en novembre, la joueuse doit reprendre progressivement. Une blessure grave qui touche plus souvent les joueuses.
«Il peut y avoir jusqu’à six fois plus de blessures chez les footballeuses que chez les footballeurs», affirme Hélène Maystre, experte en physiologie du sport à la Haute école fédérale de Macolin (BE). Un chiffre surprenant, mais que plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. «Cela passe par le manque d’entraînement, les différences de niveau entre les joueuses, un coaching de mauvaise qualité ou la tendance à exiger des performances au-dessus des capacités physiques réelles», détaille la spécialiste chargée de l’équipe nationale féminine.
Méconnaissance du corps des femmes
Le mauvais coaching, justement, et les blessures qui en découlent semblent dériver d’un manque de connaissance du corps des athlètes. Sur ce point, Éric Sévérac, entraîneur du SFCCF, rejoint Hélène Maystre. On peut gommer cet écart de genre, «pour autant que les spécialistes soient bien conscients de la spécificité des femmes par rapport aux hommes, explique le coach. Cependant, de plus en plus d’études s’intéressent à la morphologie féminine, ce qui donne plus de clés pour prévenir les blessures.»
Du côté des principales concernées, les avis se rejoignent. Il y a tout un tas de petits paramètres supplémentaires à prendre en compte chez les femmes. «Les facteurs physiologiques, comme le cycle menstruel, ont un impact fort pour les femmes, développe Paula Serrano, milieu de terrain du Servette. On a donc plus de risques de fatigue ou de blessures que les hommes.»
Faut-il réduire la taille des terrains et des buts?
Un vieux débat remonte à la surface: ne devrait-on pas réduire la taille des terrains, diminuant ainsi la distance parcourue par les joueuses et donc le risque de lésions? Comme le note Sandy Maendly, ancienne joueuse et coordinatrice sportive du Servette Chênois, «ce type d’ajustements existe déjà dans certains sports comme le volley ou le basket, où le filet/panier est plus bas pour les femmes que pour les hommes». Une adaptation aux caractéristiques physiques des femmes, en somme. Pourtant, lorsque l’on évoque la possibilité de transposer cela au football en introduisant des pelouses et des cages de but plus petites (les buts standards rendraient le jeu trop facile pour les filles), la Genevoise est catégorique: «La discussion n’a pas lieu d’être. Ce sont des commentaires qui me gênent.»
Même son de cloche chez les joueuses. Les filles se blessent peut-être plus facilement que les garçons, «mais ce n’est pas un problème de taille de terrain ou de distance parcourue pendant un match» pour Paula Serrano. Quant à Daïna Bourma, défenseure, l’idée ne lui a simplement jamais traversé l’esprit. «Quand on est enfant, on n’y pense même pas. Tout ce qu’on veut, c’est jouer. On est content tant qu’on a un ballon et un but délimité avec deux chaussures», raconte-t-elle.
Un problème de formation
Si les adolescents peuvent s’entraîner sur les grands terrains, avec des buts normaux, pourquoi l’élite féminine ne le pourrait pas? Selon Éric Sévérac, la différence de qualité de jeu entre hommes et femmes se cache aussi dans les investissements et la structure des clubs. «Malheureusement, l’expérience que peuvent avoir les filles plus jeunes, en école de foot, est encore insuffisante», regrette-t-il. Il faut donc un encadrement avec des personnes plus qualifiées et compétentes dès le plus jeune âge. Car le problème aujourd’hui est le suivant: soit l’entraînement pour les jeunes filles n’est pas aussi développé que pour les garçons, soit les entraînements sont pensés pour des garçons et, ainsi, pas forcément adaptés à la morphologie des filles. À parcours équivalent, le niveau d’une joueuse n’est donc pas le même qu’un garçon, alors «aujourd’hui, on compense les lacunes des filles, ce qui freine l’apprentissage», regrette le coach.
Investir pour mieux connaître, c’est précisément ce que fait Servette Chênois en développant son académie. Une école de foot qui se dit «consciente de sa responsabilité sociale et éducative» et qui entend «développer, assurer et promouvoir la pratique du football chez les jeunes», y compris pour ses homologues féminines.
Maxime Crevoiserat, Alessia Merulla, Eva Lombardo
Photo: Keystone
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Pratiques journalistiques thématiques » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel. Une version de cet article a été publiée sur Blick.ch le 4 mai.