Tableau "Les différents types de races", Mützel, 1904, Leipzig.

Que faire quand on est victime de discrimination au logement ?

Il est plus difficile de trouver un appartement lorsque l’on s’appelle Khalil Haddadi que Laure Favre. C’est la conclusion d’une étude menée par des étudiants en journalisme de l’Université de Neuchâtel. Quelles solutions pour les victimes de ce genre de discriminations ?

Yilmaz* est un neuchâtelois de 31 ans d’origine turc. Les galères d’appartements, il connaît.« A cause de mon nom de famille, j’ai eu plus de mal à trouver un appartement que mes amis qui ont des patronymes suisses. J’avais toujours des réponses négatives lorsque je postulais via les plateformes traditionnelles ». Après de long mois de recherche, le jeune homme a finalement trouvé grâce à un ami qui avait un piston dans une régie.

Un constat qui n’a rien de nouveau. Sa mère, une Suissesse d’une soixantaine d’années, se souvient aussi d’avoir souffert de discriminations en prenant le nom de famille turc de son mari. Après de nombreux refus de la part des régies, elle a préféré opter pour une méthode radicale.« J’ai décidé de donner mon nom de jeune fille dans les dossiers de candidature. Dix jours après, j’avais une réponse positive ».

Une démarche qui paraît extrême. Pourtant, ce témoignage fait écho aux chiffres avancés dans une enquête effectuée par des étudiants en journalisme à l’Université de Neuchâtel. Quand un Suisse au nom à consonance étrangère envoie 10 demandes, il reçoit environ 3 réponses positives, contre 5 réponses positives pour un Suisse avec un patronyme helvétique. Si la marge d’erreur est élevée, elle prouve dans tous les cas une discrimination. Toujours selon l’enquête, ceux qui ont le moins de chance de se voir proposer une visite en Suisse sont les Maghrébins et les Turcs.

Graphique : Sur 145 demandes, envoyées par des personnes aux noms à consonances étrangères, seules 49 réponses positives ont été reçues. Pour les patronymes suisses, sur 133 demandes, 65 réponses positives ont été reçues.

Que faire face à la discrimination?

La discrimination raciale est interdite en Suisse en vertu de l’article 261 bis du code pénal. Mais il subsiste une zone grise. Car dans la pratique, il est compliqué de prouver qu’il y a bien eu une discrimination fondée sur la race dans la recherche d’un logement:« Au niveau légal, on ne peut pratiquement rien faire. Il faudrait par exemple que l’annonce publiée écarte expressément une ethnie pour répliquer au niveau pénal, ce qui reste extrêmement rare, précise Matthieu Loup, vice-président de l’Association des locataires de Fribourg (Asloca). Les discriminations raciales dans la sélection des dossiers sont choquantes, mais en principe le bailleur est libre de décider à qui il loue son appartement. Il est très délicat de réglementer ce type de contrats entre deux privés ».

Et si les preuves manquent ?« En Suisse, produire des enregistrements filmés ou audios sans le consentement de la personne est illégal, explique Anne-Laure Zeller, du Centre d’écoute contre le racisme. La seule chose qu’une personne victime de discrimination peut faire, c’est d’adresser un courrier à la régie en faisant part de ses interrogations quant à une forme de discrimination et espérer une prise de position, sachant que la régie peut répondre comme bon lui semble ».

Face aux difficultés ressenties par les personnes portant un nom à consonance étrangère, il existe la possibilité de modifier son patronyme afin de lui ôter ces signes d’exotismes. Mais la loi reste très stricte quant à la procédure. En principe, seuls les caractères absents de l’alphabet suisse peuvent être modifiés. Toutefois, s’il est possible de prouver que seul le nom provoque une discrimination systématique, une démarche est concevable.« Comme dans le domaine de l’embauche, il serait envisageable d’anonymiser les candidatures, explique la socialiste Bea Heim, conseillère nationale. Mais l’absence de l’identification entraîne une certaine méfiance des recruteurs ». Une solution applicable uniquement si on la généralise à l’ensemble des postulations, ce qui permettrait d’éliminer la discrimination due à l’origine et à la profession.

Une volonté politique faible

Le marché du logement est l’un des domaines les plus touchés par la discrimination, après le lieu du travail, le marché de l’emploi et les contacts avec l’administration, selon Human Right Watch.  Et le flou juridique s’accompagne aussi d’une immobilité politique.« J’ai déposé un postulat en 2009 pour encourager la recherche de piste permettant de lutter contre les nombreuses formes d’inégalités de traitement. Le Conseil Fédéral en a pris acte mais rien n’a été fait, constate Bea Heim. La peur de l’étranger est encore largement alimentée par certains partis. S’il y a une volonté politique pour diminuer les discriminations, elle ne s’est pas généralisée ». Le parlement Belge a voté en 2007 une loi pour simplifier la procédure de plainte pour les victimes de discrimination. Mais dix ans plus tard, les effets ne se font pas sentir.

Des corps de métiers aussi discriminés

L’enquête en question surprend dans les sociétés genevoise et lausannoise de chasseurs immobiliers. Faire passer un dossier avec un nom à consonance étrangère ne leur fait pas peur.« Tant que le dossier est solvable, cela nous pose aucun problème, explique un employé qui préfère garder l’anonymat. Et ils ont autant de chances d’obtenir un appartement que les autres candidats au patronyme suisse ». D’autant plus que le patronyme n’est pas le seul sujet de discrimination. Certains corps de métier ont mauvaise réputation, selon ces mêmes chasseurs d’appartements.« Les enseignants et les avocats sont stigmatisés car ils connaissent leurs droits et sont plus enclins à se plaindre à l’Asloca. Cela se sait au sein des régies ».

Les résultats de l’enquête et les témoignages récoltés montrent que la discrimination dans la recherche de logement n’est pas anecdotique. Il reste cependant difficile pour les particuliers de se défendre individuellement. Ce n’est que par la dénonciation automatique des situations à risque que le phénomène gagnera en visibilité et pourra être combattu par les pouvoirs publics.

*prénom d’emprunt

Julie Eigenmann, Carole Thévenaz et Sarah Jelassi