Face à l’envie de trouver de la nourriture locale et bio dans nos assiettes, de plus en plus d’agriculteurs ont recours au crowdfunding pour lancer de nouvelles exploitations. Un défi pour ces artisans qui doivent apprendre à se mettre en valeur sur Internet afin d’attirer les futurs investisseurs.
Selon les chiffres de la Chambre neuchâteloise de l’agriculture et de la viticulture (CNAV), le nombre d’exploitations agricoles, toutes catégories confondues, a quasiment baissé de 30% en 20 ans (979 exploitations en 2000 face à 689 en 2019). Les petites exploitations qui peinent à trouver un repreneur quand son agriculteur quitte le domaine sont englobées dans les plus grandes exploitations, rapporte Jonathan Amstutz, responsable du secteur gestion à la CNAV.
Pourtant, a contrario, le nombre d’exploitations biologiques a plus que doublé depuis le début du siècle. Ces chiffres reflètent une demande croissante des consommateurs pour les produits bios.
Au début des années 2000, le bio paraissait encore assez peu conventionnel. Aujourd’hui, les agriculteurs voient que le bio devient de plus en plus tendance. Le consommateur réclame du bio donc les exploitations y voient un créneau porteur et se lancent dans le biologique.
Jonathan Amstutz, responsable du secteur gestion à la CNAV
Selon l’adage : « on ne prête qu’aux riches », les petites exploitations biologiques qui fleurissent dans le canton de Neuchâtel ne parviennent pas à financer le lancement de leur projet via des prêts bancaires, ni par des aides étatiques.
Un concept inédit
La situation est donc un terreau fertile pour le financement participatif ou « crowdfuning » en anglais. Nicolas Oppliger, un jeune étudiant en gestion, originaire de La Sagne, a compris il y a deux ans qu’il y avait l’opportunité de lancer la première plateforme web en Suisse qui a pour but de financer des projets d’agriculteurs par des fonds privés. Elle a pour nom : « Yes We Farm ».
Son principe est simple : rassembler les demandes de projets d’exploitations d’agriculteurs, ou d’artisans, qui sont en lien avec l’alimentation. « Yes We Farm » héberge les demandes sur son site et permet à tout un chacun de participer au développement d’exploitations biologiques. Mais pour attirer des financiers, il faut savoir user de son pouvoir de séduction.
Pour cela, il est nécessaire de présenter son idée de manière attractive pour attirer des bailleurs de fonds qui ont cette volonté de participer à cette croissance du bio dans les assiettes.
Les secrets de la séduction
Pas de texte ou de longs discours! Le visuel est plus attractif pour susciter de l’intérêt. C’est pourquoi « Yes We Farm » demande une vidéo de présentation de deux minutes. 120 secondes pour faire envie afin de rassembler un maximum d’argent.
Loïc Grossen a rejoint l’aventure “Yes We Farm” peu après son lancement. Doté de compétences en communication, il est aujourd’hui responsable marketing de l’entreprise. Il présente, en trois points, sa recette pour une offre de crowdfunding attrayante.
La vidéo de Pierre-André Perriard peut faire office de référence en matière d’attractivité. Il est passé via la plateforme « Yes We Farm » pour son projet de boulangerie artisanale. Un projet qui a été mené a bien en début d’année puisque l’épicerie « Le Pain de PA » a ouvert ses portes il y a deux semaines.
Pierre-André est un artisan cultivateur, producteur et vendeur bien connu du littoral neuchâtelois. Il est fier d’avoir créé une épicerie selon le principe du kilomètre zéro. C’est-à-dire de produire local pour une consommation locale. Agriculteur de père en fils, il récolte ses propres céréales, les transforme en pain et vend sa production dans sa propre boutique attenant à son atelier de boulangerie. Cette passion ancestrale a bien été saisie par l’image dans cette vidéo de présentation de son projet.
Une vidéo de promotion qui use de prises de vue aériennes, avec une bonne qualité d’image et de son. On pourrait croire que la réalisation d’une vidéo comme celle-ci requiert des connaissances techniques en création et en montage vidéo. Aussi, être à l’aise devant la caméra est une activité peu habituelle pour des artisans.
A chacun son métier et les vaches seront bien gardées
Pierre-André Perriard se souvient bien de cette journée de tournage pour la création de sa vidéo. Il se rappelle que cette expérience fut assez intimidante pour lui.
Moi, je ne suis pas très « vidéo », je suis plus un manuel et un terrien plutôt qu’un spécialiste en publicité. Mais une vidéo, ça reste parlant. Je suis très content du résultat. Les gens ont été touchés par cette vidéo.
Pierre-André Perriard, agriculteur et boulanger artisan à Cortaillod
C’est parce qu’il ne se sent pas très photogénique que Pierre-André Perriard a fait appel à une boîte de communication pour sa vidéo. « Yes We Farm » héberge et fait la promotion des contenus mais ne s’occupe pas de leur conception. Toutefois, il arrive parfois à Loïc Grossen d’émettre certains commentaires ou suggestions sur les rendus qui sont proposés.
Une bonne vidéo peut faire la différence pour le responsable marketing de « Yes We Farm ». Et à en croire les résultats de la demande de fonds de Pierre-André Perriard, cela fonctionne. Ce dernier a récolté 130% du montant demandé en moins d’un mois. Le boulanger bio de Cortaillod est convaincu que sa vidéo, réalisée par des professionnels, a permis de financer rapidement son atelier de boulangerie.
Rendre les agriculteurs « bankable », c’est un métier. Et face au nombre de projets de production bio en hausse chez les agriculteurs du canton et de la Suisse romande, la plateforme « Yes We Farm » pourrait bien avoir encore de beaux jours devant elle. De quoi donner du boulot aux agriculteurs et à ceux qui travaillent dans la communication.
Par Thibaut Clémence
Ce travail journalistique a été réalisé dans le cadre du Master en journalisme et communication (MAJ)
Crédit photo : Pierre-André Perriard