À l’occasion d’une projection de courts-métrages animés d’étudiants au festival Animatou à Genève, j’ai rencontré Julie, Estelle et Yarol qui présentaient leur film Golem. Après quatre mois de travail intense, Julie raconte le processus de création du court-métrage.
« On a commencé le film en février et ça a duré jusqu’à juin », m’expliquent les trois étudiants de l’école lausannoise Ceruleum. « Et encore, on a commencé tard. Le timing était serré. »
Ma curiosité est piquée au vif. Moi qui n’y connais absolument rien en matière de cinéma d’animation, je me demande maintenant comment se construisent ces courts-métrages. Julie accepte de m’expliquer en long, en large et en travers, la création du film que son groupe présentait ce jour-là.
Si, comme moi, vous pensiez naïvement qu’un court-métrage animé était réalisé en deux temps, trois mouvements, j’ai listé pour vous les étapes clés par lesquelles sont passés les animateurs en herbe.
1. « C’est là que ton idée est réécrite et qu’elle prend vie »
Février 2019, il faut s’y mettre. Le groupe part sur l’histoire d’un golem volcanique qui va entrer en éruption. Le trio de choc présente ensuite le scénario à leur professeur, lors d’une séance de pitching. Celui-ci les aide à remodeler un peu le scénario et leur conseille de rajouter un personnage. « C’est mon étape préférée, explique Julie, car c’est là que ton idée est réécrite et qu’elle prend vie ».
Golem est né. Attention, spoiler alert, je vous dévoile le pitch du film:
Sur une île, un Golem volcanique va bientôt rendre son dernier souffle et produire ainsi son ultime éruption. Alors que son ami essaye de le guérir en vidant des seaux d’eau dans son cratère, celui-ci se fait brûler accidentellement par un jet de lave et meurt. Anéanti, le Golem se lève et part à travers la forêt. Affaibli après avoir puisé dans ses dernières ressources, il atteint l’océan. Il parvient à se traîner jusque dans l’eau afin de s’y éteindre paisiblement.La partie submergée deviendra plus tard une nouvelle île, abondante de végétation. On aperçoit une jeune pousse ressemblant curieusement à son ami disparu.
Les étudiants établissent ensuite assez rapidement le séquencier, une sorte de plan des moments forts de l’histoire:
2. Dessine moi un Golem
« Ensuite, vient le moment d’établir les concepts. » Quésaco? Julie doit me traduire tous les mots de son vocabulaire technique mais elle est armée de patience: « Les concepts, ce sont les images fixes de ce à quoi va ressembler le film. C’est notamment là qu’on définit l’apparence des personnages. »
Chacun vient avec des croquis. Puis, les étudiants font un patchwork de toutes les idées pour créer un personnage unique qui plaise aux trois réalisateurs. « Par exemple, raconte Julie, pour little friend, on a décidé de garder une forme petite mais arrondie, comme je l’avais proposé. On aimait bien l’idée du lien avec la végétation, comme dans la proposition de Yarol. On a donc décidé de lui mettre une fleur sur la tête. »
3. Le storyboard
Viennent ensuite les étapes du découpage et du storyboard. « Ca consiste à dessiner les différents plans du film, en choisissant les cadrages. D’apparence, on dirait une bande dessinée » clarifie Julie (qui a vite compris qu’elle devait utiliser des mots simples avec moi).
C’est une étape compliquée car elle impose de réfléchir comme un réalisateur, un dessinateur et un caméraman. « Selon comment tu cadres, si tu es proche du personnage ou très loin, ton intention est totalement différente. C’est important de maîtriser le langage cinématographique. »
4. Et… Action!
Vous pensiez que c’était fini? Que nenni! Ca commence à peine. Parce que maintenant que les personnages et l’histoire sont fixés, il faut donner vie à tout ça. Depuis le storyboard, c’est Julie qui commence à animer les personnages avec un programme informatique.
Concrètement, ça ressemble à ça:
« Pour cette étape, j’ai dû pas mal me filmer » me dit Julie. Alors là, je ne comprends plus rien… On ne parle plus de dessins? Elle rigole et m’explique que la pratique est courante. Car lorsque l’on veut donner vie et réalisme à un personnage fictif, il faut déjà savoir comment se meuvent les humains dans la vraie vie. Elle s’est donc filmée, mimant les différentes émotions et réactions de ses personnages afin de les reproduire au mieux dans ses animations. « Un petit mouvement d’épaule lorsque le personnage est surpris peut tout changer. C’est important d’avoir une référence parce que sinon, on voit à l’image que quelque chose ne joue pas, c’est moins naturel. »
Pendant que Julie anime tout ça, Yarol s’occupe des effets spéciaux. La volonté du groupe était de réaliser ceux-ci en 2D pour plus de réalisme. Un travail de titan pour Yarol qui a du, par exemple, dessiner les nuages de fumée plans par plans.
5. On peaufine le tout
Une fois les scènes animées par Julie et les effets spéciaux ajoutés par Yarol, tout arrive chez Estelle pour la post-production. Un vrai travail d’équipe, vous l’aurez compris. « Estelle recevait le personnage en mouvement, sans rien autour et avec des couleurs plates. Comme elle est la plus à l’aise avec le logiciel, c’est elle qui s’occupait d’ajouter les décors, les ombres et les effets. » Et une fois que chaque scène est peaufinée, elle s’occupe de toutes les mettre bout à bout pour finalement créer le court-métrage.
6. Et le son ?
À ce stade de l’entretien, j’ai neuf pages de notes manuscrites et un début de crampe à la main lorsque Julie ajoute : « Oh! Je n’ai même pas encore parlé du son! ». Et ignorer la question du son, c’est ignorer une grande partie de ce qui fait l’univers de Golem.
Pour la musique ainsi que les bruitages, les étudiants du Ceruleum ont collaboré avec des étudiants de la Haute Ecole de Musique de Lausanne et du Centre de Formation aux Métiers du Son et de l’image. « Le premier contact se fait tôt pour parler du projet, de nos envies et nos idées. Mais il faut attendre d’avoir un premier visuel pour qu’ils nous proposent quelque chose. »
Il est difficile d’être sur la même longueur d’onde du premier coup. « Leur première proposition n’allait pas du tout, explique Julie. C’était beaucoup trop électro, ça ne collait pas avec l’ambiance qu’on voulait faire ressortir. Mais ces essais sont essentiels car en constatant ce qu’on ne voulait pas, on avait une meilleure idée de ce qu’on souhaitait. »
7. Clap de fin
Cette fois, c’est fini. Julie tire un bilan positif mais soulève les difficultés: « On a rendu quelque chose de trop long mais d’assez bon. Golem a d’ailleurs été le seul film de deuxième année sélectionné par le festival Animatou. On est d’autant plus contents qu’il fallait gérer avec d’autres cours et d’autres rendus. Ce n’est pas quelque chose d’évident car ce projet a pris toute notre énergie, on ne pensait plus qu’à ça. »
Il aura fallu quatre mois au groupe pour rendre un film de quatre minutes. Alors, bien-sûr, Julie, Estelle et Yarol sont étudiants et ont certainement besoin de plus de temps que des profesionnels avec plusieurs années d’expérience. Mais cela permet de prendre conscience du travail qui se cache derrière un film d’animation et d’en apprécier chaque seconde. D’ailleurs, maintenant que vous savez (presque) tout sur les dessous du film, je vous laisse admirer le fruit du travail avec le teaser de « Golem »…
Prenez le temps de découvrir d’autres travaux d’étudiants en animation à l’école Ceruleum de Lausanne!
Crédit photos et vidéos: Julie Ruffet, Yarol Chabin, Estelle Perchaud, Ecole d’arts visuels Ceruleum
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « écritures informationnelles », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.