Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a accepté jeudi à l’unanimité le projet de résolution pour la défense de la vie privée sur Internet, sponsorisé en partie par la Suisse. Mais ce consensus de façade cache une rude bataille entre les puissances mondiales depuis le déclenchement de l’affaire Snowden. La Suisse pourrait y jouer un rôle clé.
Entendons-nous bien. Le texte de la résolution à propos du droit à la vie privée en ligne est loin d’être révolutionnaire. Très loin.
Il réaffirme une série de libertés pour les individus et il introduit la fonction de rapporteur spécial, qui devra veiller au respect de ces libertés et signaler les violations. Cependant, derrière ces mots, les préambules et les articles de la résolution, la question qui risque de dominer la scène internationale dans un avenir proche est la suivante: dans l’opposition inévitable entre sécurité nationale et droits privés, qui a la priorité ?
Aucune votation
Une résolution qui a finalement été adoptée à l’unanimité à Genève, sans même la nécessité d’un vote. L’Arabie Saoudite a émis quelques critiques, notamment sur la création du rapporteur spécial. L’Afrique du Sud a fait de même, mais en conclusion, aucun des 47 États-membres du Conseil ne s’est opposé à l’entrée en vigueur du projet. Un résultat différent aurait été étonnant : un refus aurait signifié admettre des responsabilités que personne ne veut assumer.
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Pendant la session, la Russie a été le seul pays à avancer des accusations directes aux États-Unis et ses alliés, parlant « d’une massive violation du droit à la vie privée « . Keith Harper, représentant de la délégation américaine, a ignoré ces allégations et s’est limité à apporter le consensus de sa nation au texte. Keith Harper a précisé se baser sur « des piliers qui ont toujours été à la base de notre démocratie ».
La querelle Allemagne contre États-Unis
Par contre, la présentation de ce projet, dont le Brésil et l’Allemagne ont été les plus fervents sponsors, peut être considérée comme un message clair aux États-Unis.
Angela Merkel n’avait pas apprécié le contrôle de son téléphone portable par Washington, dénoncé par Edward Snowden, ancien agent de la CIA et de la NSA. La chancelière est particulièrement sensible sur l’espionnage, ayant grandi dans l’Allemagne de l’Est où les actions de la Stasi ont laissé bien de traces dans les esprits.
The Intercept a jeté de l’huile sur le feu. Le média lancé par Glenn Greenwald, le journaliste qui avait publié des révélations de Snowden, a divulgué une menace de Barack Obama contre l’Allemagne en 2013. Obama voulait dissuader Merkel d’accepter la demande d’asile de Snowden. Selon Greenwald, la Maison-Blanche était prête à cesser le partage des informations sur le terrorisme avec Berlin.
On comprend bien que la création d’un rapporteur spécial n’est qu’une petite vague dans un océan très agité.
Et la Suisse ?
Mais comment se positionne notre pays face à tout ça ? D’un côté, la Suisse fait partie des promoteurs de la résolution aux Nations Unies, mais d’autre part, le Conseil national a récemment voté en faveur de la loi sur le renseignement. La loi sur le renseignement donne une série de pouvoirs aux services secrets, comme la possibilité de lire le courrier électronique des citoyens. « Cette divergence de positions est effectivement un peu contradictoire », affirme Jean-Christophe Schwaab, conseiller national vaudois du Parti socialiste.
Ueli Maurer a rassuré les sceptiques en affirmant que la mesure ne touchera pas les citoyens qui n’ont rien à se reprocher. Jean-Christophe Schwaab n’est toutefois pas convaincu :
Benjamin Franklin disait que celui qui sacrifie sa liberté pour sa sécurité n’aura ni l’un, ni l’autre. La plupart des législations anti-terroristes qui se fondent sur ce contrôle n’ont pas réussi à éviter les attentats, mais les États ont eu la possibilité d’exercer une surveillance sur le peuple.
Isabelle Michaud, de l’association humanrights.ch qui se bat aussi dans ce domaine, a récemment affirmé au magazine Immorama qu’ »on peut accepter des restrictions à ce droit, mais il faut mettre en place un cadre juridique pour en définir les limites et en assurer la proportionnalité ».
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Snowden chez nous ?
Le symbole de toute cette question est évidemment Edward Snowden. L’informaticien vit actuellement au bénéfice de l’asile politique en Russie, mais les rumeurs à propos d’un déplacement vers la Suisse sont récurrentes. Matthew Aid, historien et expert de la NSA y faisait écho sur Twitter.
Snowden Appeals to Switzerland to Grant Him Asylum – March 7, 2015 Snowden says he’d like to return to… http://t.co/Bl1ivKjs2U
— Matthew Aid (@matthewaid) 7 mars 2015
« Je soutiens toutes les démarches allant dans ce sens et j’estime que c’est un scénario assez réaliste. En tant que pays neutre, la Suisse serait très bien placée pour accueillir les personnes qui dénoncent les abus des services de renseignements étrangers« , conclu encore Jean-Christophe Schwaab. Snowden a récemment définit la Suisse comme la capitale de l’espionnage. Ajouter l’espion du moment à ce contexte pourrait vraiment faire de la concurrence à James Bond. Mais malheureusement, ceci n’est pas un film.