Alors que la presse subit coupes budgétaires et concentrations, médias et journalistes doivent repenser leurs modes de financement s’ils souhaitent pouvoir garder leur indépendance. Une thématique centrale du International Journalism Festival à Perugia.
Ce qui interpelle, au festival international de journalisme de Perugia, ce sont les grands panneaux annonçant Facebook et Google comme sponsors principaux de l’événement. Alors que les médias souffrent déjà des déficits de revenus publicitaires et des concentrations d’entreprises, la montée en puissance des GAFA n’arrange en rien leur situation. Une bonne occasion pour nous de questionner le futur de l’indépendance de la presse.
Les mutations récentes, liées aux nouvelles technologies et aux besoins des utilisateurs, ont accentué l’aspect industriel des produits médiatiques ainsi que leur mode de production. En Suisse, les rouleaux compresseurs des groupes Tamedia, Ringier-Axel Springer et ESH Médias-Hersant ont rasé le paysage médiatique et se partagent désormais la majorité des titres de presse. Le nombre de journaux (éditions nationales et régionales comprises) est passé de 406 en 1939 à 184 en 2013.
Comment enrayer le phénomène ?
Dans son ouvrage « Sauver les Médias », l’économiste Julia Cagé évoque plusieurs pistes pour remédier à la concentration forcée des titres en difficulté économique. Elle évoque notamment le crowdfunding, ou financement participatif, comme alternative aux pressions des grands groupes.
Le financement participatif permet de récolter des fonds en mettant en relation porteurs de projets et contributeurs externes via une plateforme spécialisée. Au cours de ces dernières années, le nombre de sites de crowdfunding a explosé avec l’apparition de Kickstarter, Ulule ou encore We Make It. Une aubaine pour les journalistes freelance et médias qui rêvaient de se lancer de manière indépendante, mais aussi pour ceux dont la situation économique est sur le déclin.
Le média pure-player (ndlr: uniquement en ligne) Les Jours en est un bon exemple. Alors que se profile un plan social au sein du journal Libération en 2014, une partie des journalistes envisage de sauver son avenir en créant un média en ligne. L’opération de financement est lancée sur KissKissBankBank et rapporte plus de 80’000 euros. En Suisse, le média Republik réussit l’exploit de lever 3,5 millions de francs en janvier 2018 avec un but: faire du journalisme hors des grands groupes de presse qui concentrent toujours plus le marché médiatique.
Des solutions encore fragiles
Financement participatif et indépendance de la presse vont donc de pair. Toutefois, la pérennité de la pratique reste encore à démontrer. Si Republik se donne deux ans pour atteindre le seuil de rentabilité, d’autres n’ont pas eu cette chance. C’est le cas de feu Ebdo, magazine online français créé en janvier 2018, qui a été contraint de mettre la clef sous la porte deux moins après son lancement, faute de moyens. L’engouement de départ s’est épuisé trop vite.
D’autres solutions existent, comme le fait d’instaurer des murs payants, plus communément appelés pay-walls, pour forcer le lecteur à payer pour ce qu’il consomme. Si beaucoup de titres (Le Temps, Le Nouvelliste, 24 heures etc.) utilisent désormais cette stratégie, le problème des médias en ligne est toujours le même. Les utilisateurs sont trop habitués à consommer de manière gratuite sur Internet, monnayant leurs données ou des spots intempestifs de publicité contre un accès au contenu.
L’importance du renouveau et du digital
Malgré tout, ces nouveaux usages forcent les jeunes générations de journalistes à innover. Aussi, la fidélisation du lectorat est plus importante que jamais, particulièrement en ligne. Un an après sa création, Les Jours a par exemple créé une Société des amis qui permet à ses abonnés de souscrire au capital et de devenir actionnaire du média, en bénéficiant de réductions fiscales. D’autres titres, comme Le Nouvelliste ou Le Temps, développent des cellules web pour gérer leurs communautés.
Si les pistes sont multiples, les médias doivent se réveiller et prendre le train tant qu’il est encore en gare. Pour cela, ils doivent revenir à un financement par la vente d’informations de qualité. Qu’ils cessent d’exploiter une manne publicitaire qui fuit, comme l’explique Julia Cagé aux Inrocks: « Les robinets sont fermés ; on a changé de modèle économique : il est temps d’en prendre conscience. »