Dubaï : un “miroir aux alouettes” ?

Par Alessia Merulla, Maxime Crevoiserat & Thomas Christen

Dubaï : un “miroir aux alouettes” ?

Dubaï : un “miroir aux alouettes” ?

Par Alessia Merulla, Maxime Crevoiserat & Thomas Christen
Photos : DR
16 janvier 2023

La ville émirienne attire des millions de touristes chaque année. Mais qu’est-ce qui motive les vacanciers à choisir cette destination? Et, malgré l’aspect paradisiaque, sont-ils conscients qu’ils séjournent dans une dictature?

Tout comme on organise son road trip, on prépare aussi ses connaissances sur notre destination. Au travers de cet article, nous vous emmenons dans un voyage virtuel au coeur de Dubaï. Étape par étape, vous découvrirez différents aspects de cette ville de toutes les démesures.

Étape n°1 : Dubaï et les réseaux sociaux

Instagram

Une véritable vitrine

La première étape de notre voyage, ce sont forcément les réseaux sociaux. Si vous avez envie de vous rendre à Dubaï, il est très probable qu’Instagram ou TikTok y soient pour quelque chose. Que ce soit au travers des influenceurs ou des vacanciers, les posts ne se comptent plus, notamment sur Instagram.

 

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Une publication partagée par Nabilla Vergara ✨ (@nabilla)

 

Portés par l’élan de Nabilla et son mari Thomas Vergara, nombre d’influenceurs français, pour la plupart issus de la télé-réalité, se sont installés dans l’émirat ces dernières années. En documentant leur vie sur fond de Burj Khalifa et de plages paradisiaques, ils offrent une belle vitrine à la ville. Mais pourquoi vouloir quitter l’hexagone en masse? Ce n’est plus un secret, la fiscalité et l’immobilier y sont notamment bien plus avantageux qu’en France. Dans le reportage Influenceurs: une vie de rêves à Dubaï diffusé par C8, Kellyn Sun (Les Princes et les Princesses de l’Amour) s’est confiée sur le sujet.

 

“Y en a qui assumeront pas, mais je pense que 100% des influenceurs, de base, viennent pour des raisons fiscales.”

 

Serge Enderlin voit également une autre raison à ces déménagements massifs des stars des réseaux. “La plupart sont des français d’origine arabe et qui sont mal-aimés en France à cause de ça. A Dubaï par contre, on fait tout pour les attirer, ils sont accueillis à bras ouverts, et ils se sentent acceptés. C’est un peu leur eldorado.” S’ajoute à cela l’anonymat dont ces célébrités jouissent dans le Golfe.

Résultat, les comptes de ces personnalités regorgent de photos et de vidéos exhibant maisons luxueuses, sac de créateurs et panoramas à couper le souffle. En revanche, rien ne filtre des coulisses du système émirien. On pourrait presque se demander si les influenceurs eux-mêmes sont au courant de ce qui s’y passe. “À Dubaï, je me sens à l’aise [avec le côté bling bling], je ne me sens pas jugée. Alors qu’en France, je ne me sens pas en sécurité, je me suis déjà faite agresser […].” “Ici, t’es vraiment en sécurité. Des gens qui ont de la marque et des grosses voitures, y en a partout.” Cette conversation entre Parisa et Kim Glow, deux influenceuses découvertes dans les Marseillais, tirée du reportage C8 fait planer le doute.

Étape n°2 : Dubaï, carte d'identité

DR

Pour partir en voyage, il faut un passeport, ou au moins, une carte d’identité. Connaissez-vous celle de Dubaï? Si beaucoup d’occidentaux se rendent, sans conteste, à Dubaï pour son allure paradisiaque, notre expérience montre que peu d’entre eux connaissent réellement son histoire ou son fonctionnement politique.

-Dubaï s’est donc énormément développée ces dernières années. Les images satellite témoignent de cette expansion vitesse grand V:

Étape n°3 : qu'est-ce qui attire vraiment les touristes à Dubaï?

Unsplash

La troisième étape de notre voyage nous emmène dans la tête des touristes. Pour comprendre ce qui attire les touristes à Dubaï, mais aussi ce qui choque une fois sur place, nous avons interrogé un panel de personnes ayant séjourné aux Émirats Arabes Unis. Nous avons compilé toutes ces données afin de créer quatre personnages types (qui ont plus ou moins apprécié leur séjour) avec qui vous allez pouvoir converser. Ces personnages sont donc fictifs mais toutes les réponses qu’ils vous donneront sont des réponses issues de nos propres interviews.

 

Étape n°4 : la face cachée

AP Photos/Kamran Jebreili

Vous l’aurez sûrement remarqué, dans les témoignages ci-dessus, les questions humanitaires et environnementales sont peu abordées. Ce qui n’étonne pas Serge Enderlin. Pour ce journaliste qui a réalisé plusieurs enquêtes aux Émirats Arabes Unis, Dubaï n’est qu’un “miroir aux alouettes”. “Il ne faut pas oublier que c’est une dictature, que le peuple n’a pas de liberté de vote, qu’il n’y a pas de liberté de ton, qu’on torture des gens dans les prisons”, développe-t-il. Selon lui, sur 10 millions d’habitants, 8 millions sont des travailleurs, “autrement dit, des immigrés mal traités.” Un reportage réalisé par Arte durant la pandémie montre d’ailleurs comment la situation de ces personnes originaires des Philippines, du Bangladesh ou encore d’Inde, s’est encore plus dégradée alors que le monde tournait à l’arrêt.

 

“Et nous, en Occident, on accepte tout ça parce qu’ils ont le pétrole.”

 

Sur le plan écologique, Serge Enderlin est catégorique, “ils ne tiennent pas compte du coût environnemental. C’est pour ça que la construction de Dubaï a été possible, explique-t-il. Il n’y a que la volonté du prince qui compte.”

En 2006, les Émirats Arabes Unis étaient considérés, selon un rapport du WWF, comme le pays possédant la plus grande empreinte écologique par habitant. Un article de National Geographic de 2017 expliquait que l’objectif du Sheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum était d’alimenter Dubaï à 75% avec de l’énergie renouvelable d’ici 2050. Il voudrait même en faire la ville avec la plus petite empreinte carbone au monde. “Ils s’adaptent. Quand on sera vraiment à la fin du pétrole, ce sera sûrement les premiers à mettre en place des champs de panneaux solaires,” constate Serge Enderlin. Dubaï possède d’ailleurs déjà une centrale solaire qui, d’ici la fin de sa construction à l’horizon 2030, se veut la plus grande et la plus puissante du monde.

Cependant, selon les derniers chiffres du Global Footprint Network (2018), les Émirats font toujours partie du top 10 des pays avec la plus grande empreinte écologique par habitants aux côtés du Qatar, du Luxembourg ou encore des États Unis. À titre d’illustration, l’empreinte du pays du Golfe est pratiquement deux fois plus grande que celle de la Suisse (qui se classe 48ème ).

 

Serge Enderlin souligne également le soft power des Émirats Arabes Unis : “Ils l’ont construit très méthodiquement. Les Émirats ont énormément investi dans le sport et la culture, par exemple avec le Louvre ou la Formule 1, qui sont d’importants vecteurs d’influence. Ça leur permet de ‘blanchir’ leur dictature.” En d’autres termes, selon le journaliste franco-suisse, le pays s’est acheté une réputation. “Avant, on attribuait les grandes compétitions à des pays où ça faisait sens. La Coupe du Monde en Argentine par exemple. C’était tout aussi problématique sur le plan politique puisque c’était une dictature, mais dans les rues, tout le monde joue au foot là-bas. Maintenant, on donne ce genre de manifestations à celui qui a le plus d’argent.”

N’oublions cependant pas que les Émirats Arabes Unis ne sont pas le seul pays sous régime autoritaire ou dictatorial prisé par les touristes. Égypte, Chine, Venezuela, Russie sont dans le même cas de figure. Mais on peut aussi ajouter à la liste des pays comme le Brésil, le Mexique ou encore l’Afrique du Sud, qui ne sont pas des dictatures au sens strict, mais qui restent des destinations problématiques à toutes sortes de niveaux. Pourtant, à part peut-être pour la Russie depuis le début de l’invasion en Ukraine, il semble moins choquant de ce rendre dans ces pays plutôt qu’à Dubaï. Peut-être parce que ces destinations ont moins tendance à cacher ou à camoufler ces aspects critiquables? Voyager dans de telles destinations semble donc acceptable tant que le touriste sait exactement dans quoi il s’embarque.